Restitutions

MNR

Biens spoliés, à la recherche du temps perdu

Par Philippe Sprang · Le Journal des Arts

Le 11 avril 2018 - 901 mots

Un rapport commandé par le ministère de la Culture pointe le manque d’énergie de la France pour retrouver les ayants droit des œuvres spoliées pendant la guerre, et formule trente propositions.

Paris. En mai 2017, la ministre de la Culture Audrey Azoulay confiait à David Zivie, alors conseiller chargé du patrimoine dans son cabinet, le soin de « dresser l’état des lieux et des points à améliorer dans le traitement des œuvres et biens culturels ayant fait l’objet de spoliations ». Un rapport qui devait permettre de formuler des « propositions opérationnelles ». Elle-même avait fait le constat que « la politique de restitution et, plus largement, le traitement des conséquences de la spoliation pendant la Deuxième Guerre mondiale pouvaient être améliorés ».

Avant d’en venir à ces « propositions opérationnelles » – au nombre d’une trentaine –, David Zivie a beaucoup consulté. Il a rencontré nombre de spécialistes, lu, comparé, et a pu mesurer l’état et l’étendue du chantier. Le 19 mars dernier, près d’un an plus tard donc, il a rendu son rapport à la nouvelle ministre, Françoise Nyssen.

L’auteur rappelle d’abord les avancées accomplies au fil du temps avec « une nouvelle prise de conscience » de la part de l’État et l’engagement des ministres précédents. Fleur Pellerin a en effet donné des instructions aux musées afin qu’ils facilitent l’identification et l’exposition des MNR (œuvres provenant de la récupération et mises en dépôt dans les musées nationaux) tandis qu’Aurélie Filippetti avait appelé à un État plus proactif, qui effectue des recherches et n’attende pas que les familles spoliées se manifestent pour restituer les tableaux conservés par l’administration.

Un manque de coordination

En dépit de ces avancées, David Zivie note que le stock des MNR a peu diminué, 25 restitutions ayant eu lieu seulement entre 2012 et 2017. Sur un peu plus de 2 000 œuvres MNR répertoriées, seules 336 ont été examinées en quatre ans. À ce rythme, il faudra une quinzaine d’années pour accomplir cette tâche. Par ailleurs, les instructions sur l’exposition des MNR dans les musées ne sont que partiellement respectées, de même qu’est passée à la trappe la création d’une base de données des œuvres récupérées à la Libération ou l’étude de celles vendues par les domaines à la fin des années 1940. L’auteur du rapport relève un manque de coordination des actions, une multiplication des centres de décision et des strates administratives, une dispersion des forces et une organisation floue et peu viable.

David Zivie conclut son chapitre sur les « difficultés rencontrées » par un constat édifiant : « Un certain flou règne encore à plusieurs égards, une incertitude qui touche tant à l’organisation elle-même de l’État qu’à ses intentions, ses critères de décision ou aux moyens qu’il consacre à cette cause. […] Manque de modestie en raison d’une certaine autosatisfaction alors que la tâche reste immense ; trop faible ambition car l’État manque de moyens et d’organisation pour faire face à cette tâche. […] Les délais et la lourdeur des recherches inquiètent et laissent penser qu’avec des moyens toujours limités et dispersés, ce travail est condamné à avancer lentement alors même que les descendants les plus proches des propriétaires spoliés disparaissent eux aussi et qu’une telle démarche perdra progressivement de son sens. »

Les livres, grands oubliés

L’auteur du rapport mesure le temps perdu et ses conséquences. En 1995, en dépit de nombreuses alertes, l’État français était parvenu à justifier tant bien que mal son inaction pendant quarante ans. Aujourd’hui, rien de tel et sa défaillance est suspecte. Comme disent les Américains, les MNR ne sont que le « tip of the iceberg ». Arrivent les livres, soit 17 000 ouvrages trop discrètement rangés, comme les peintures hier, dans les rayonnages de nombreuses bibliothèques publiques françaises parmi lesquelles la Bibliothèque nationale de France. Il est très étonnant que ces livres aient pu être laissés de côté, tant par les conservateurs que par la mission Mattéoli sur la spoliation des Juifs de France (2000).

L’autre grand chantier, très important, est l’examen minutieux des acquisitions réalisées par les musées nationaux depuis 1933, ceci afin de s’assurer que certaines d’entre elles ne provenaient pas des collections de familles juives spoliées. Un exercice déjà entrepris en Allemagne, au Royaume-Uni, au Canada ou aux États Unis.

À ceux qui depuis deux décennies traînent les pieds, David Zivie rappelle les raisons pour lesquelles il faut « déployer tant d’efforts après tant de temps » : « Si [ces biens culturels] ont été ballottés de propriétaires privés en musée publics, c’est qu’ils appartenaient à des hommes et des femmes précis, plongés dans l’histoire malgré eux. Ces œuvres sont les pièces annexes du crime : la persécution des Juifs par les nazis et le génocide. »

Les principales propositions du rapport Zivie
• Renforcer le rôle de la CIVS (Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations) et en élargir les compétences. Il pourrait devenir « le » lieu de pilotage de l’action publique, épaulé par un conseil d’experts.
• Envisager l’affectation des MNR (Musées nationaux Récupération) au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, à Paris.
• Lancer les recherches de provenance sur les œuvres non MNR des collections publiques.
• Recruter des chercheurs chargés d’identifier la provenance des œuvres en renfort temporaire.
• Modifier le code du patrimoine pour permettre l’annulation de l’entrée dans les collections publiques d’œuvres (non MNR) qui se révèlent spoliées.
• Favoriser une véritable formation en recherche de provenance.
• Mettre en place une structure de coordination des recherches sur les livres spoliés déposés dans les bibliothèques publiques.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°499 du 13 avril 2018, avec le titre suivant : Biens spoliés, à la recherche du temps perdu

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