Histoire de l'art

Au commencement était l’artiste ?

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 30 janvier 2020 - 780 mots

Le thème de la création du monde a été souvent exploité durant la Renaissance. Dans un essai, Florian Métral en révèle les implications historiques et poétiques pour les artistes et leurs commanditaires.

Enquêter sur la représentation de la création du monde, c’est un peu plus que mener une simple étude sur un thème biblique. Il y a un texte source, certes, « In principio… »– ces mots connus de tous qui ouvrent l’Ancien Testament. Mais il y a aussi les divers mythes dont la Renaissance s’est nourrie en redécouvrant les textes de l’Antiquité grecque. Il y a les découvertes scientifiques, géographiques, qui enrichissent la perception de la création divine, la complexifie, et les enjeux de légitimation du pouvoir que ce thème implique. Il y a aussi un autre mythe, celui de la création artistique, qui, comme le montre Florian Métral, se fond dans la cosmogonie chrétienne.

Cette étude minutieuse se compose de trois parties, qui sont autant d’approches du sujet. Dans une perspective historique, l’auteur défriche la jungle des conceptions cosmogoniques qui se superposent à la Renaissance. À commencer par la lecture du texte chrétien, qui vient s’enrichir d’une nouvelle conception, celle du liber mundi [le livre du monde]. On ne considère plus seulement que la création est un mystère révélé par Moïse et son expérience visionnaire, mais une vérité que chacun peut expérimenter en observant la perfection du monde qui l’entoure. L’ordre et la sagesse que l’homme découvre en observant le monde deviennent alors une façon de représenter le mythe de la création : la personnification de la sagesse incarne le mystère de la création, et le genre du paysage assume le récit cosmogonique, parfois sans aucune représentation du Dieu créateur.

Le mythe de la création se mâtine aussi de mythologie antique et de pensée hermétique, et l’on voit les représentations du créateur se confondre avec celle d’un Jupiter. C’est la connaissance accrue de notre monde et sa représentation géographique qui influencent les images de la création.

Florian Métral s’attelle alors à une entreprise ambitieuse, un pur travail d’historien de l’art avec un angle très précis. Il procède à une analyse iconologique des fresques de la chapelle Sixtine de Michel-Ange. Pour lui, c’est Moïse et sa vision qui sont au centre du décor de la fameuse voûte.

Le mystère de la création inscrit sur la voûte

Narrateur de la Genèse, témoin par vision interposée de la création du monde, Moïse est aussi, à la fin du XVe siècle, considéré comme le typus papae, la préfiguration dans l’Ancien Testament de la figure du pape. Pour Sixte IV, puis son neveu et successeur Jules II, la figure de Moïse légitime le pouvoir papal. Pour fonder ce propos, l’étude s’attarde d’abord sur la voûte qui précédait celle de Michel-Ange, un ciel étoilé peint par Piermatteo da Amelia, représentant les constellations de manière naturaliste. Loin du rôle décoratif qu’on lui avait assigné, cette voûte célèbre la perfection de la création visible. Michel-Ange offrira, quant à lui, la contemplation du mystère invisible de la création, à travers les yeux de Moïse. Métral s’appuie sur l’analyse de l’ordre des scènes de la Genèse – apparemment désordonnée –, mais aussi sur le rôle des prophètes et sibylles qui incarnent un « itinéraire visionnaire », une découverte progressive du mystère de la création.

À cette démonstration convaincante succède une réflexion sur le rapprochement entre création divine et création artistique. S’ouvre alors une recension précise des occurrences de cette analogie dans la littérature de l’époque, que ce soit dans un sens – la création divine comme une œuvre d’art –, ou dans l’autre – l’artiste comme créateur, quasi-égal de Dieu. Sous la plume de Léonard, Francisco de Holanda ou Zucarro, le terme « créer » remplace peu à peu le verbe « faire » pour évoquer le travail des artistes, alors que la figure du deus artifex, le Dieu artisan, refait surface.

L’auteur s’est efforcé de multiplier les exemples d’œuvres où le discours sur la création du monde se confond avec celui de la création artistique. Dieu y manipule les mêmes outils que le sculpteur, pour travailler la materia informis, qu’il modèle avec une facilité déconcertante, extrayant le premier homme du marbre en pinçant la pierre de ses doigts. La figure du Dieu créateur devient alors le modèle de l’artiste, et nul n’est plus proche de l’expérience de la création que ce dernier, capable lui aussi de créer des mondes. La représentation du divin geste créateur prend une épaisseur nouvelle et l’attention que lui porte Michel-Ange sur les fresques de la chapelle Sixtine fait l’objet d’un développement sur la main et l’index pointé. Ce n’est pas un attribut iconographique qui signale la nature créatrice du divin, mais le geste et le mouvement qu’il partage avec l’artiste.

Florian Métral, Figurer la création du monde, mythes, discours et images cosmogoniques dans l’art de la Renaissance,
Actes Sud, 2019, 368 pages, 34 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°538 du 31 janvier 2020, avec le titre suivant : Au commencement était l’artiste ?

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