Aernout Mik, vers une chorégraphie du réel

L'ŒIL

Le 1 septembre 2002 - 955 mots

Se servant exclusivement de la vidéo,
l’artiste hollandais Aernout Mik donne
souvent à voir un monde aux limites de l’apesanteur et de l’absurdité. Pourtant, un regard plus attentif renvoie inévitablement le spectateur vers la réalité crue de notre société.

Ses vidéos sont silencieuses et extatiques. On y voit des groupes d’individus en train de rire, de pleurer, de se bousculer dans un escalier roulant, des personnes âgées en train de chahuter. Ses vidéos sans début ni fin donnent l’impression d’une esthétique lunaire, spatiale bref d’un état d’apesanteur permanent. Discret sur la scène française – on l’a tout de même aperçu à Cahors en 1998, à Kergéhennec en 2000 et à Lyon en 2001 –, l’artiste hollandais Aernout Mik a, à 40 ans, une carrière européenne et internationale des plus resplendissantes. En 1997, il représentait la Hollande à la Biennale de Venise, en 2000 le Van AbbeMuseeum à Eindhoven lui a consacré une rétrospective en exposant une quinzaine de pièces, et il présente de nouvelles œuvres actuellement à la fondation Joan Miró en Espagne en attendant une exposition au FRAC Champagne-Ardennes à la rentrée.
Aernout Mik réalise essentiellement des installations vidéos pour lesquelles il a, dès ses premières expositions, mis en œuvre une conception très exigente. En effet, l’artiste hollandais ne se contente pas de vidéo-projeter ses réalisations sur les murs des espaces d’exposition, il porte un intérêt particulier au dispositif de projection et à l’agencement de l’espace. « Je voudrais que le public se sente partie intégrante de mes œuvres, une nécessaire composante de leur organisme, plutôt que d’être seulement un spectateur et un auditoire avec la distance et l’exclusion que cela implique. » Le spectateur entendu comme la clé de voûte de ses installations, de ses environnements vidéos. Conceptuellement, les pièces d’Aernout Mik sont proches de certaines installations de Pipilotti Rist comme Himalaya Goldstein Stube (Remake of the week-end) dans laquelle l’artiste suisse invite le spectateur à pénétrer dans l’appartement d’une femme fictive, Himalaya Goldstein. De même, elles se rapprochent des œuvres d’art total d’Illya Kabakov quand celui-ci recrée dans l’espace d’exposition une salle de cinéma, l’intérieur d’un appartement, voire d’un musée. Cependant, elles s’en distinguent par le fait que Aernout Mik donne à ses pièces une forme plus éthérées, plus conceptuelles, plus minimalistes. En 2000, au centre d’art contemporain de Kerguéhennec, Aernout Mik avait ainsi théâtralisé la projection d’une vidéo dans laquelle on découvrait au gré de légers panoramiques des petits groupes de personnes assises sur un terrain vague comme après un festival de musique rock. Le spectateur était invité à parcourir dans la pénombre un corridor dont le sol était recouvert de tapis alors que sur les parois se reflète la vidéo. Enfin, l’installation se terminait par une impasse éclairée par une lampe électrique de faible intensité. Glissement de terrain assuré dans tous les sens du terme : passage de la pénombre au clair-obscur, de la foule à la solitude, de l’image vidéographique à la lumière électrique, du réalisme au minimalisme.
En l’espace d’une dizaine d’années, Aernout Mik a mis en place un vocabulaire esthétique très personnel. L’état d’apesanteur de ses réalisations vidéos synthétise une partie des formes et des moyens de l’expression contemporaine : la direction d’acteur comme au cinéma, la performance comme dans le champ des arts plastiques, et la chorégraphie liée à l’univers des arts de la scène. Chacune de ses réalisations manifeste une utilisation très stricte des corps, de leur mouvement, de leur rendu dans l’espace et le temps. Ne laissant aucune place au hasard, la mise en scène est toujours préalablement réglée et les actions se déroulent dans des décors très simples et épurés : un garage, une salle de gym, une cuisine.
Proches des expériences vidéographiques de Bruce Nauman dans les années 70, les réalisations de Aernout Mik rivalisent en absurdité. L’humour est en effet le premier niveau de lecture, comme dans Float (1998) où deux personnes à plat ventre rebondissent sur un tapis gonflable, ou encore dans Lick (1996), mise en scène de trois individus transformés en fontaine à eau. Toutefois, un fil rouge plus ténu que ce simple sentiment lie l’ensemble de ses productions. Aux frontières de l’autisme, ses personnages semblent marqués par des gestes répétitifs, des stéréotypies : ils rient, ils pleurent, ils se pressent, s’effondrent, voire rebondissent. Loin des clichés grands formats du photographe allemand Andreas Gursky, Aernout Mik décrit à l’aide de ces tableaux vivants la palette des sentiments de l’homme occidental, son portrait psychologique sous toutes ses facettes et ses appartenances, qu’il soit issu de la classe moyenne ou du monde des affaires, jeune ou âgé. Ainsi, Mik osculte les relations humaines qui oscillent entre hostilité et altruisme au sein de petites communautés, de regroupements d’individus. Dans Parallel Bar (2001) quatre personnes se retrouvent, boivent un café, puis commence à hurler, et à détruire le local où elles se trouvent. De la réunion entre amis au hooliganisme. Politiquement, Aernout Mik ne semble pourtant pas un artiste engagé, un activiste remettant en cause ou jouant sur les principes de l’activité économique. Toutefois, dans Glutinosity (2001), il n’hésite pas à montrer des scènes de manifestations politiques : tandis que les forces de l’ordre essaient de déloger les manifestants allongés sur le sol, le mouvement aérien de la caméra et la non-résistance des manifestants dessinent une atmosphère des plus incertaines, presque absurde. Enfin, dans Middlemen (2001), Mik filme l’effervescence d’une journée de travail dans une bourse internationale fictive. Assis sur le sol au milieu de feuilles et de papiers, des tradders semblent dépités comme au beau milieu d’une crise financière.
Alors, Aernout Mik, l’artiste aux vidéos absurdes et flottantes semble rejoint par la réalité, par les images d’actualités, le krach financier et les manifestations anti-mondialisation. Soudain, les vidéos de Mik deviennent des peintures curieusement réalistes.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°539 du 1 septembre 2002, avec le titre suivant : Aernout Mik, vers une chorégraphie du réel

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