Polémique

Abou Dhabi en débat

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 3 août 2007 - 584 mots

La controverse suscitée par la création d’un musée estampillé « Louvre » dans l’émirat prend de plus en plus d’ampleur.

Depuis les révélations dans la presse de la création d’un musée français à Abou Dhabi (Émirats arabes unis) estampillé « Louvre » (1), le monde de la culture est en ébullition. Reprenant la tribune publiée dans Le Monde (13 décembre 2006) par Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht, texte intitulé « Les Musées ne sont pas à vendre », la pétition lancée sur le site www.latribunedelart.com a recueilli plus de 3 000 signatures, parmi lesquelles celles de nombreux historiens de l’art et conservateurs, jusque dans les équipes mêmes du Louvre. Le ministre de la Culture a organisé la riposte le 9 janvier en réduisant l’affaire à une « polémique menée par quelques grincheux » et en rappelant son soutien au projet. Le même jour, Henri Loyrette, interrogé dans Le Monde, répondait aux attaques, et Serge Lemoine, peu à l’aise, diffusait la bonne parole sur les ondes de France-Inter, précisant qu’il serait, lui aussi, de la partie. Tout comme Bruno Racine : le président du Centre Pompidou se dit très intéressé par ce projet qu’il considère comme une réponse à la mondialisation et une porte d’entrée possible vers le Moyen-Orient (lire p. 6). Pendant que les débats font rage, les négociations vont bon train. Une ultime délégation française conduite par ministère de la Culture et la direction des Musées de France (DMF) devrait à nouveau se rendre à Abou Dhabi d’ici à la fin du mois pour sceller les dernières clauses du contrat. Dans son édition datée du 11 janvier, Le Monde a apporté des précisions chiffrées sur ce projet dont nous avions donné les grandes lignes dès la mi-décembre. L’émirat verserait à la France 150 millions d’euros pour organiser quatre expositions annuelles (et ce pendant dix ans), 200 millions d’euros pour le prêt de plus de 300 œuvres provenant du Louvre mais aussi de tous les musées français qui le « souhaiteraient », et entre 200 et 400 millions d’euros pour céder la marque « Louvre » sur une durée minimale de vingt ans. Financée par Abou Dhabi à hauteur de 70 millions d’euros, la création de l’« Agence internationale des musées de France » conseillera l’émirat pendant dix ans pour la constitution d’une collection. Au total, 700 millions d’euros seraient engrangés par la France, dont l’intégralité serait reversée au monde des musées, a précisé la Rue de Valois. Dès lors, comment croire Henri Loyrette ou Francine Mariani-Ducray, directrice de la DMF, lorsqu’ils prétendent que l’argent n’est pas le moteur de l’opération ? Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le ministère de la Culture dans un communiqué en date du 11 janvier, les réserves du Louvre ne sont pas inépuisables. Comme le rappelle Jean-René Gaborit, conservateur général honoraire au Louvre, dans une lettre ouverte à Jack Lang (qui s’est prononcé lui aussi en faveur du projet), depuis la réalisation du Grand Louvre, « il n’y a dans les réserves qu’un nombre restreint d’œuvres susceptibles d’intéresser le public ». Et de souligner le « danger que courent les œuvres d’art lors de leur transport ». Surtout, la plate-forme culturelle qu’entend créer Abou Dhabi, petit État de 700 000 habitants, relève davantage de la logique d’un tourisme de luxe en direction de quelques très rares privilégiés que d’un réel musée largement accessible à la population locale.

(1) lire les JdA no 242 et 249, 8 septembre (p. 63) et 15 décembre 2006 (p. 3).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°251 du 19 janvier 2007, avec le titre suivant : Abou Dhabi en débat

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