Victor Prouvé

Hommage à l’un des pères de l’Art nouveau

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 18 juin 2008 - 1176 mots

A travers une programmation qui réunit trois de ses musées, Nancy célèbre l’un des principaux animateurs de son foyer Art nouveau : Victor Prouvé. De lui, l’histoire n’avait injustement retenu que son fils, le constructeur et designer Jean Prouvé.

Dans la famille Prouvé, tout le monde connaît le fils, Jean (1901-1984), constructeur et designer, adepte de l’habitat et du mobilier industriels. Mais hormis les Nancéiens, peu connaissent le travail de son père, Victor (1858-1943), qui a pourtant été l’un des principaux animateurs de l’école de Nancy. Comme ses camarades, Émile Gallé ou Louis Majorelle, Prouvé a été l’un des promoteurs de « l’art dans tout », cette nouvelle mouvance artistique internationale baptisée Art nouveau qui a touché Nancy au tournant des XIXe et XXe siècles (lire l’encadré). Or contrairement à ses acolytes, Victor Prouvé, pourtant prolifique et touche-à-tout, n’a pas eu la postérité qu’il aurait méritée.
Depuis plusieurs années, les musées de Nancy, détenteurs d’un nombre important d’œuvres de l’artiste, s’attachent donc à le sortir des limbes de l’histoire de l’art. Après avoir proposé plusieurs expositions thématiques, ils organisent pour la première fois une grande manifestation à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance, disséminée dans les trois musées de la ville. Celle-ci ne traite que de l’apogée de sa carrière, soit les années de l’école de Nancy (1880-1914).
Ce vaste panorama, présentant sa peinture au musée des Beaux-Arts, ses productions décoratives au musée de l’École de Nancy et ses gravures au Musée lorrain, permet de prendre la mesure de la diversité de sa production. Ardent promoteur d’un décloisonnement entre les disciplines et de l’abolition de la hiérarchie entre arts majeurs (peinture, sculpture, architecture) et mineurs (arts décoratifs), Victor Prouvé y apparaît comme un artiste inclassable, alternant les styles, de la copie des maîtres à la veine impressionniste, du symbolisme au paysage naturaliste. Son parcours a pourtant été des plus classiques.

Il se détourne de l’académisme après des échecs au prix de Rome
Né en 1858, à Nancy, d’un père dessinateur en broderie et d’une mère lingère, Prouvé commence sa formation artistique à l’école municipale de dessin avant d’intégrer l’École des beaux-arts de Paris en 1877. Jusqu’en 1882, il y suit l’enseignement du très académique Alexandre Cabanel (1823-1889), auteur d’une fameuse Naissance de Vénus (1863), aujourd’hui au musée d’Orsay, décrite par Émile Zola comme une « pâte d’amande blanche et rose [...] noyée dans un fleuve de lait ». Cet enseignement ne satisfait guère le jeune Prouvé, dont les échecs successifs au prix de Rome achèvent de le détourner de cette voie académique.
Tel Eugène Delacroix (1798-1863) en Algérie, à qui il avoue sa déférence dans quelques scènes de harem, Victor Prouvé effectue plusieurs séjours en Tunisie, en 1888 puis en 1890. Il y découvre la couleur et la lumière. En 1889, le monumental tableau intitulé Les Voluptueux (musée des Beaux-Arts de Nancy), inspiré par La Divine Comédie de Dante, signe un coup d’éclat, offrant au regard le corps
de trois damnés dévorés par un brasier.
Si la presse juge cette fougue mal contrôlée, Prouvé y rend un hommage appuyé à ses deux maîtres : Auguste Rodin (1840-1917), qui travaille alors sur le même sujet avec La Porte de l’Enfer, et Rubens (1577-1640), dont il s’inspire de la vigueur du modelé. Cette exaltation du corps féminin restera l’un de ses sujets de prédilection, comme en témoigne notamment le remarquable Buste de femme nue (1886, Nancy, musée des Beaux-Arts).

Pour sa peinture, Prouvé puise dans son bonheur familial
S’il touche déjà à toutes les disciplines, Prouvé peintre, qui expose à partir de 1890 au Salon national des beaux-arts à Paris, se fait d’abord remarquer pour ses grands décors. Plusieurs esquisses illustrent la qualité des compositions produites pour les mairies de Nancy, du XIe arrondissement de Paris ou encore d’Issy-les-Moulineaux. Prouvé y met en scène des thèmes chers à ses convictions républicaines : la félicité par le travail et l’harmonie familiale, sujets qui seront repris dans les célèbres grands formats du musée des Beaux-Arts de Nancy, L’Île heureuse (1902), hommage à Baudelaire, et La Joie de vivre (1904), dont la destination demeure inconnue. La palette restreinte et la touche sans empâtements de ces grands tableaux inscrivent alors Prouvé dans la lignée de Puvis de Chavannes (1824-1898).
Son bonheur familial nourrit son travail de peintre et de sculpteur. En 1898, il épouse Marie Duhamel, la fille du directeur de l’Opéra de Nancy, qui lui donnera sept enfants. De nombreux tableaux et sculptures illustrent ces joies simples, telles les émouvantes images de Jean enfant. Portraitiste talentueux, Victor Prouvé satisfait les commandes de la bonne société de Nancy, où il s’établit définitivement en 1902, et commence une carrière plus provinciale. Les Corbin, Bergeret, Keller, Grillon ou Wiener, tous acquis à la cause de l’Art nouveau, sont alors ses nouveaux mécènes tandis que les commandes parisiennes se réduisent. C’est avec René Wiener, l’un des membres d’une famille de libraires, et en collaboration avec Camille Martin, que Prouvé révolutionne l’art de la reliure avec ses décors pyrogravés qui font sensation, en 1893, au Salon de la Société nationale des beaux-arts.

Dessinateur, il fournit des cartons a Majorelle, Gallé, etc.
Durant cette période, Victor Prouvé excelle également dans le domaine des arts décoratifs. Verre, bois, céramique, orfèvrerie, bijouterie ou arts textiles sont autant de matériaux explorés par l’artiste, infatigable dessinateur qui fournit des modèles aux animateurs de l’école de Nancy, des ébénistes Majorelle et Vallin aux céramistes de la maison Mougin. Pour son ami Émile Gallé, il conçoit le décor de plusieurs meubles importants présentés dans le cadre de l’Exposition universelle de 1889, telle la table en marqueterie Le Rhin (Nancy, musée de l’École de Nancy).
Prouvé crée aussi quelques pièces magistrales dont la célèbre coupe La Nuit (1894, voir page suivante), d’inspiration symboliste, qui hisse l’objet d’art au rang de la sculpture. Dans l’esprit du mouvement, il collabore également avec des industriels, dessinant objets et affiches, avec un médium qu’il apprécie particulièrement, la gravure, dont un très bel ensemble est présenté au sein du Musée lorrain.
La guerre de 1914 met un terme à l’aventure de l’école de Nancy. Après guerre, Victor Prouvé se consacre exclusivement à l’enseignement et prend la tête de l’École des beaux-arts. Si le goût Art nouveau est alors passé de mode, Prouvé y perpétue un même esprit, incitant à la collaboration avec l’industrie afin de distiller du beau dans le quotidien.
Mais les temps sont durs pour l’artiste, et la ville vote des crédits afin qu’il puisse subvenir à ses besoins. Il meurt en 1943 à Sétif, en Algérie, auprès de sa fille. Son fils, Jean, perpétuera le nom des Prouvé bien au-delà de Nancy.

Biographie

1858 Naissance à Nancy. 1873-1877 Étudie à l’école municipale de dessin de Nancy. 1877-1882 Entre à l’école des Beaux-Arts de Paris dans l’atelier d’Alexandre Cabanel. 1888 Premier voyage en Tunisie. 1889 Médaillé de bronze à l’exposition universelle. 1893 Expose au Salon de la Société nationale des beaux-arts. 1904 Suite au décès d’Émile Gallé, Prouvé est élu président de l’Association de l’école de Nancy. 1919-1940 Directeur des Beaux-Arts de Nancy. 1943 Il décède à Sétif (Algérie).

Autour de l’exposition

Informations pratiques. « Victor Prouvé, les années de l’école de Nancy », jusqu’au 21 septembre 2008. Musée des Beaux-Arts de Nancy (peinture, tél. 03 83 85 30 72), musée de l’École de Nancy (arts décoratifs, tél. 03 83 40 14 86) et Musée lorrain (estampe, tél. 03 83 32 18 70). www.nancy.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°604 du 1 juillet 2008, avec le titre suivant : Victor Prouvé

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