Droit de réponse à l’article « Léonard en danger »

lejournaldesarts.fr

Le 13 octobre 2011 - 786 mots

PARIS [13.10.11] - Je tenais à réagir avec indignation à la teneur de l’article paru dans Le Journal des Arts paru le 7 octobre, sous le titre particulièrement racoleur de « Léonard en danger » (*).

Sur la forme de cet article, je ne peux que m’étonner d’une méthode qui tient plus du procès d’intention que d’une enquête intellectuellement honnête et impartiale. Tout journaliste peut et doit évidemment enquêter et prendre parti, à condition cependant de présenter à ses lecteurs l’ensemble des arguments, favorables comme défavorables. Mais, dans l’article concerné, on a privilégié amalgames, allusions et catastrophisme : autant de procédés utilisés évidemment pour instruire uniquement à charge. Et tout cela pour critiquer a priori la restauration d’un tableau que la journaliste n’a pas jugé utile de voir, alors même que cela lui a été proposé par le musée du Louvre. L’attirance pour le « scoop », qui imposait une parution anticipée le 6 octobre, avant que nous ayons pu présenter et expliquer dans le détail la restauration de l’œuvre, l’a visiblement emporté sur l’exigence d’une information juste.

Plus grave encore, sur le fond, les approximations et les erreurs s’avèrent multiples, encouragées sans aucun doute par des témoignages partiaux ou insuffisamment informés. Sans chercher à les reprendre ici une à une – la communication que nous allons organiser lèvera toutes ambiguïtés –, j’aurais simplement à cœur de rétablir quelques vérités afin de ne pas laisser le doute s’installer dans l’esprit des connaisseurs comme du grand public.

Si le Louvre a pris la décision de reprendre la restauration de ce tableau, envisagée en 1993, c’est pour une raison simple de conservation, cœur du métier et de la responsabilité même de tout musée. Restaurer devenait indispensable si l’on voulait préserver ce chef-d’œuvre, aujourd’hui mis en péril par des micro-soulèvements de la matière picturale dus à la présence d’importantes épaisseurs de vernis oxydé. Par ailleurs, l’œuvre était réellement défigurée par des repeints devenus trop visibles, ainsi que par des inégalités et des épaisseurs de vernis qui ne permettaient plus de voir les finesses extrêmes de la composition de Léonard de Vinci.

Ainsi, s’est imposée la nécessité de notre démarche de restauration, qui a consisté à amincir les couches de vernis de restauration apposées au cours des XIXe et XXe siècles. Inutile de préciser qu’en aucune façon cette restauration ne touche à la couche picturale, puisque nous conservons bien sûr une épaisseur significative de vernis ancien.

Poser la question qui prélude à l’article de votre journal et donne le ton de l’ensemble – « qui pourrait se mesurer au génie de Léonard de Vinci et à l’infinie subtilité de sa technique picturale ? » – relève d’une méconnaissance totale du principe même de toute restauration. En aucun cas, un restaurateur ne doit interférer avec la création même de l’artiste, son travail consistant justement à relativiser les passages du temps et les interventions des restaurateurs précédents par rapport à l’œuvre originale.

Rappelons que c’est au terme de plusieurs années d’examens et d’analyses, puis de deux journées d’étude, qui avaient réuni les plus grands spécialistes internationaux de Léonard de Vinci, que l’annonce de cette restauration fut faite publiquement, à l’auditorium du Louvre. Nous avons alors expliqué, en toute transparence, les nécessités de cette restauration, ses finalités et ses limites, ainsi que la méthode retenue. Nous avons depuis suivi le protocole exposé ce jour-là.

Il est parfaitement normal qu’une restauration concernant une œuvre aussi célèbre suscite des interrogations et des discussions ; elles sont légitimes et même nécessaires. Et c’est bien pour cela que nous avions décidé, dès la phase d’études de mettre en place un comité scientifique, représentatif des diverses sensibilités et opinions, afin que chacun des spécialistes puisse suivre l’ensemble des opérations et faire connaître son point de vue, à chaque étape de la restauration. C’est ainsi une démarche progressive, partagée, scientifique et documentée qui fut instaurée, une démarche dialectique permettant de trouver collectivement le meilleur équilibre.

Rarement une restauration aura été aussi préparée, discutée et encadrée. Jamais une restauration n’aura bénéficié de techniques aussi performantes. Et, à quelques mois de l’issue de cette restauration, les premiers travaux d’allègement révèlent l’excellent état de conservation de la matière picturale et le génie artistique de Léonard de Vinci, nous confortant dans les choix qui ont été faits.

Note

(*) Précision sur le titre de l'article :
Dans son droit de réponse, Vincent Pomarède indique le titre de l'article "Léonard en danger" paru à la page 7 du n°354 du Journal des Arts et sur notre site nous avons repris le titre de cet article annoncé à la Une de ce même numéro : "la « Sainte Anne de Vinci menacée ».

Vincent Pomarède est conservateur en chef du département des Peintures au Musée du Louvre.

Légende photo

Léonard de Vinci - La Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne (1510) - 168 x 112 cm - Huile sur bois - Musée du Louvre - source Wikimedia

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