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Un « Musée du logement populaire » en Seine-Saint-Denis ?

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2020 - 920 mots

SEINE-SAINT-DENIS

Porté par un groupe de chercheurs en histoire sociale, le projet d’un musée « sur » la banlieue qui serait implanté en banlieue parisienne bénéficie du soutien de Plaine Commune et de ses collectivités locales. Une première exposition présentée dès 2021 à Aubervilliers donnera les grandes lignes de son programme, fondé sur la vie quotidienne des habitants à travers l’histoire.

Scène de la vie quotidienne dans la cité des 800, vers 1975-1980. © Archives de la ville d'Aubervilliers
Scène de la vie quotidienne dans la cité des 800, vers 1975-1980.
© Archives de la ville d'Aubervilliers

Seine-Saint-Denis. Fin août, la banlieue entrait dans un grand centre d’art parisien avec l’inauguration au Palais de Tokyo de l’exposition « Jusqu’ici tout va bien », qui présente les œuvres des étudiants de l’école de cinéma Kourtrajmé (Clichy-sous-Bois/Montfermeil). Le chemin inverse est plus difficile à emprunter, et les ouvertures de lieux d’exposition en banlieue parisienne sont rares, alors que l’offre parisienne continue de s’enrichir. Un groupe de chercheurs du Centre d’histoire sociale (CHS, Paris-I et CNRS) a pris le problème à bras-le-corps en imaginant un musée en banlieue sur la banlieue. « À la genèse du projet, il y a le souhait d’aller à rebours d’une image stéréotypée et monolithique de la banlieue. On veut raconter une histoire riche, complexe », explique Fabrice Langrognet, docteur en histoire et membre de l’Amulop (Association pour un musée du logement populaire).

Un musée new-yorkais pour modèle

Créée en 2015, l’association réunit des chercheurs universitaires qui ont également l’expérience de l’enseignement dans les collèges et lycées de Seine-Saint-Denis, et constatent quotidiennement le décalage entre l’Histoire avec un grand « H » et celle de leurs élèves « Pour nos élèves, il y a l’idée que leur histoire, ou celle de leurs parents, n’est pas légitime », observe Muriel Cohen, docteure en histoire contemporaine. Membre du CHS et enseignant au collège Jean-Lurçat (Saint-Denis), Cédric David abonde : « Lorsqu’on traite la question de la banlieue, c’est dans le cadre de l’industrialisation du XIXe… Tout ça est déjà très loin ! » En abordant le sujet sous l’angle du logement, « on a un fil rouge qui permet de raconter une histoire, le vécu quotidien des milieux populaires », expose l’historien.

Le projet ne devrait pas s’adresser seulement aux banlieusards qui ne se reconnaissent pas dans les musées du centre-ville : « On veut aussi attirer les Parisiens, les touristes français et internationaux », ambitionne Muriel Cohen. En ligne de mire, le modèle du Tenement Museum à New York : fondé en 1988, le musée raconte l’histoire de l’immigration par le biais du logement et connaît un franc succès. « L’expérience du Tenement Museum nous permet d’envisager un large public, national et international », précise l’historienne.

Le musée new-yorkais a fortement inspiré les chercheurs français dans la conception de leur projet, à commencer par son approche micro-historique : « Les expositions y sont focalisées sur les habitants, l’histoire est incarnée à travers des parcours d’individus singuliers pour retracer des thématiques plus larges, explique Fabrice Langrognet. C’est une démarche que nous allons reprendre. » De la formule « Tenement », l’Amulop souhaite aussi garder l’idée d’un musée hors les murs, qui organise des promenades guidées aux alentours du bâtiment : l’association a déjà organisé, en 2018 et 2019, des balades urbaines à Saint-Denis qui ont rencontré un accueil favorable. Troisième ingrédient de la recette new-yorkaise, la médiation : « Ce que nous avons a retenu du Tenement, c’est aussi le fait que la visite ne peut se faire que sous une forme guidée, c’est un autre élément que nous allons garder dans notre projet de musée », souligne Cédric David.

À chaque époque son appartement

Dans un territoire où la politique de la ville et du logement est au centre des préoccupations, le projet reçoit rapidement le soutien de Plaine Commune, qui y voit un outil apte à faire vivre la labellisation « Ville et Pays d’art et d’histoire » décrochée en 2014. La structure intercommunale apporte un financement régulier aux activités de l’Amulop (journées d’étude, mise en place de promenades guidées). L’association a également reçu en 2019 une aide importante de l’Institut Convergences Migrations (ICM) pour monter un premier projet d’exposition qui livrera les grandes lignes du musée, dès septembre 2021. L’office HLM d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) met quant à lui à disposition de l’association plusieurs logements de la cité Émile-Dubois dite « des 800 » , sortie de terre en 1957 près du fort d’Aubervilliers. Les historiens pourront y exposer les résultats de leurs recherches, financées par l’ICM. Si ce premier jet traitera, comme le Tenement, de l’immigration, la comparaison s’arrête ici : « Le prisme principal à New York, c’est l’immigration, ce ne sera pas le cas de notre musée, affirme Fabrice Langrognet. Mais on ne peut pas non plus évoquer la banlieue sans l’immigration. L’exposition aura cet angle fort, et si l’on parle bien de [la question de l’] immigration on parle de tout le monde : du Parisien jusqu’à l’étranger. »

Si le lieu et son emplacement ne sont pas encore déterminés, l’association a quelques exigences en la matière : il faudrait un bâtiment proche d’une bouche de métro, susceptible de pouvoir accueillir touristes et Parisiens, et qui aurait aussi une « profondeur historique », afin derelater l’histoire de la banlieue de la révolution industrielle à aujourd’hui. « L’idée est de pouvoir présenter plusieurs reconstitutions d’appartement pour pouvoir raconter des histoires différentes », détaille Muriel Cohen. « Nous ne sommes pas sur le mode du musée de collection, précise l’historienne. Ce qui nous intéresse c’est l’incarnation, la mise en scène du discours historique. » Pour nourrir celui-ci, l’Amulop envisage la collecte de récits oraux et écrits, et d’archives – « mais on ne va pas accumuler des centaines de buffet en Formica ! », plaisante Fabrice Langrognet.

Rendez-vous en septembre 2021 pour découvrir l’exposition-« prototype » avec laquelle l’Amulop espère attirer l’attention des acteurs locaux, de la Métropole du Grand Paris aux communes séquano-dionysiennes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°551 du 18 septembre 2020, avec le titre suivant : Un « Musée du logement populaire » en Seine-Saint-Denis ?

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