Udnie et L’Idole

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 1 décembre 2002 - 377 mots

Francis Picabia supportera-t-il la proximité avec ses concurrents contemporains (tous sont nés entre 1869 et 1884) actuellement sur les cimaises parisiennes : Matisse, Picasso,
Beckmann et Modigliani ?
Il y a d’abord un enjeu économique pour le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, organisateur de cette importante rétrospective. L’équilibre financier des grandes manifestations
artistiques devient difficile à atteindre, en raison notamment des coûts croissants des assurances, et repose sur un nombre toujours plus important de visiteurs. Or on peut se demander si ceux-ci, très sollicités en cet automne, iront au Palais de Tokyo après le Grand Palais, le
Musée du Luxembourg et le Centre Pompidou.
Par ailleurs, au plan de l’histoire de l’art, se profile une interrogation sur la créativité du peintre d’Udnie et des nus classicisants. Picabia a expérimenté tout à tour l’Impressionnisme, le
Cubisme, l’abstraction, le Dadaïsme, pour revenir vers une figuration de plus en plus réaliste avant un ultime retour à l’abstraction. Alors que le terme polymorphe s’est rapidement imposé à la rédaction de L’ŒIL pour résumer d’un mot son œuvre, les avis ont divergé quant à sa puissance créatrice. Doit-on voir un artiste libre toujours décalé par rapport à l’esthétique du moment ? Destructeur de l’art avec ses représentations mécaniques dans les années 1910-1920 et académique dans les années 1940-1945 alors que les avant-gardes ont triomphé ? Ou bien
Picabia n’est-il qu’un « recycleur » d’images : les paysages des Impressionnistes, les dessins de mécaniques, les couvertures de magazines illustrés ?
Il aurait été commode de mettre en couverture une œuvre de sa période dadaïste, que certains considèrent comme sa « meilleure » époque. Nous avons cependant voulu en reproduire une appartenant aux années postérieures à 1940, période controversée (tant sur le plan esthétique que politique) de l’artiste afin de forcer le regard à s’interroger sur l’ensemble de l’œuvre, puisque c’est ce à quoi invite une rétrospective.
Par ailleurs, il pèse sur l’homme une image qui ne correspond pas à ce que l’on attend des artistes avant-gardistes. Il n’est en rien un peintre maudit, mais plutôt un dandy fortuné. Il ne s’est pas engagé contre le fascisme. Enfin, ses atermoiements stylistiques jettent un malentendu sur son authenticité. Alors, Picabia polymorphe, certainement. Mais Picabia créateur ou recycleur ? Le débat est lancé.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°542 du 1 décembre 2002, avec le titre suivant : Udnie et L’Idole

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