5 clefs pour comprendre la toilette dans l’art

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 16 février 2015 - 858 mots

Si la toilette devient un sujet pour les artistes à partir de la Renaissance, à chaque époque correspond un regard et une vision du corps et de la beauté.

1. Nobles dames au bain
École de Fontainebleau

Alors qu’au Moyen Âge les étuves et bains publics sont légion, la Renaissance marque un coup d’arrêt avec cette tradition séculaire. L’immersion dans l’eau chaude est perçue comme néfaste, car elle rendrait le corps plus vulnérable aux maladies et épidémies. Les représentations de scènes de bain et de toilette se cantonnent dorénavant aux sphères mythologique, biblique ou symbolique. Les baigneuses emblématiques de la seconde École de Fontainebleau appartiennent à ce dernier registre. Le Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées n’affiche ainsi aucune volonté de réalisme. Il est une ode à la favorite royale, à sa beauté, mais aussi à sa fécondité. Après avoir donné un enfant à son prestigieux amant Henri IV, elle prend une sorte de bain rituel, accompagnée de sa sœur, la duchesse de Villars. Les dames sont apprêtées, hiératiques et portent une fine chemise qui souligne leurs formes plus qu’elle ne les dissimule. Les courtines rouges qui encadrent la scène renforcent encore son caractère allégorique.

2. La Toilette d’apparat
d’après Abraham Bosse

En plein triomphe de l’étiquette, il convient aux nobles dames de montrer qu’elles accordent un soin particulier à leur apparence et à leur propreté, selon une gestuelle très normée. Les temps modernes voient ainsi se multiplier les scènes réalistes illustrant la toilette sèche. La gravure d’Abraham Bosse connaît un franc succès et est abondamment reprise dans la peinture ; elle façonne le stéréotype visuel de ce nouveau rituel social. L’œuvre met en scène une femme au lever, mais qui ne dévoile rien de son intimité puisqu’elle est déjà habillée. Assise face à son miroir, elle ajuste ses apprêts, assistée par une servante. Elle est entourée des accessoires alors indispensables à l’hygiène : le parfum, le fard et l’incontournable linge, évidemment immaculé. Son visage est vu de profil mais aussi de face dans le miroir. Cet artifice offre à l’artiste l’occasion de faire montre de sa virtuosité, tout en jouant sur l’ambigüité du miroir qui symbolise autant la vérité que les apparences et la vanité.

3. La toilette dans tous ses états
Edgar Degas

L’avant-garde de la fin du XIXe siècle se passionne pour les scènes de toilette. Les artistes scrutent avec une acuité inédite des corps banals, souvent imparfaits, saisissant des gestes d’hygiène qui ne cherchent nullement à séduire ou à exciter, mais qui rendent compte de la réalité. Les modèles sont représentés sans fard, dans des positions parfois scabreuses et inconfortables. Edgar Degas est le parangon de cette démarche tant il nourrit une curiosité sans borne pour ces sujets. Il peint, dessine, grave et modèle sans relâche des femmes occupées à leur toilette. Elles se frottent, se brossent les cheveux sans ménagement, s’épongent et sortent de l’eau non comme des nymphes mais de manière concrète, voire pataude. L’artiste capture l’authenticité de ces rituels de propreté à travers des cadrages novateurs et des compositions audacieuses. La chair et les gestes semblent plus vivants que jamais : le rapport de l’individu à son corps s’y révèle dans toute sa véracité, sans aucune pudeur.

4. Le bain hédoniste et fusionnel
Pierre Bonnard

Les thèmes du bain et de la toilette traversent l’intégralité de l’œuvre de Pierre Bonnard. Mais, contrairement à ses prédécesseurs, l’artiste ne cherche pas dans ces sujets à immortaliser avec vérisme les pratiques d’hygiène ou de beauté de ses contemporains. Le regard qu’il porte sur l’eau est profondément original et nouveau. L’eau qu’il représente n’est plus seulement celle de la propreté, mais surtout celle du bien-être, de l’appartenance à soi et de la fusion. Le corps nu de sa compagne Marthe est plongé dans une vasque remplie d’une eau polychrome que l’on imagine délicieusement tiède. Ce corps délassé affiche une langueur absolue, sans précédent. Malgré la sensualité de la scène, ce n’est pas l’érotisme qui est ici en jeu, mais bien le désir de coucher sur le papier ce moment intime où le corps s’abandonne au plaisir, autant psychologique que physique, de l’immersion. Ce bain hédoniste, aux mille couleurs, semble suspendre le temps et abolir toutes les contingences du monde extérieur.

5. Par le trou de la serrure
François Boucher

Le XVIIIe siècle marque un tournant dans les pratiques d’hygiène. L’eau longtemps écartée retrouve sa place dans les usages quotidiens. Le recours aux ablutions partielles, notamment avec le bidet qui est inventé à cette époque, entraîne une privatisation accrue de l’espace. Si auparavant on pouvait donner sa toilette en spectacle, cela devient désormais impensable. Les scènes intimes se déroulent donc dans le secret des alcôves et des cabinets. Ces actes invisibles titillent l’imaginaire grivois des artistes. Les images extrêmement crues se banalisent, elles reposent sur la transgression des interdits et le désir voyeuriste. François Boucher signe ainsi une série qui fonctionne par paires, et non en pendant, elle comprend des peintures de petits formats les plus anodines pouvant dissimuler les scènes triviales et licencieuses. L’une d’elles montre ainsi, par exemple, une femme essuyant ses parties intimes. La forme ovale du tableau suggérant celle d’un œilleton renforçant encore son caractère voyeuriste.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°677 du 1 mars 2015, avec le titre suivant : 5 clefs pour comprendre la toilette dans l’art

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