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DOCUMENTAIRE

« Les seins dans l’art » effleure maladroitement son sujet

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 10 avril 2024 - 515 mots

Derrière un propos qui se veut féministe, la réalisatrice brasse trop large dans ce documentaire déstructuré.

Dès les premières minutes, le ton est donné : les experts interrogés sont presque uniquement des femmes, qui évoquent pêle-mêle les seins comme incarnation de « la beauté, l’érotisme, la féminité ». Une voix off doucereuse ajoute que les seins sont aussi « les attributs des femmes fortes », mais sans développer le propos. Là réside le principal défaut de ce documentaire brouillon qui embrasse mal un sujet passionnant : la réalisatrice allemande Grit Lederer insiste par exemple pour contrebalancer chaque vision à l’écran d’une œuvre classique ou antique par une œuvre contemporaine, au lieu de creuser son sujet. C’est ainsi que les tableaux de Vierge allaitante de la Renaissance sont mis en regard des performances d’Orlan et de sculptures d’une artiste allemande réalisées à partir de soutiens-gorge.

Si les historiennes de l’art évoquent judicieusement l’« érotisation du religieux » dans certains tableaux classiques, elles se trompent en affirmant que le motif des seins a été peu étudié : les exemples du portrait de la Vierge sous les traits d’Agnès Sorel (Jean Fouquet, vers 1445) et de Gabrielle d’Estrées et une de ses sœurs nues (1594) contredisent le propos, puisque ces deux tableaux ont toujours fasciné les historiens de l’art. Par ailleurs, le documentaire opère un hors sujet quand la réalisatrice s’attarde sur Suzanne et les vieillards de Rubens, car ici le sujet n’est plus la poitrine mais l’ensemble du corps nu soumis au désir masculin. Sans transition autre que « le patriarcat », la réalisatrice revient à l’art contemporain avec l’artiste ghanéenne Adelaide Damoah, qui reproduit les « Anthropométries » d’Yves Klein à sa manière : là encore il s’agit du corps féminin et non spécifiquement des seins. Le documentaire se disperse donc, comme lorsqu’il aborde le statut des femmes peintres aux XVIIIe et XIXe siècles, qui auraient été entravées dans leur représentation de la maternité et de l’allaitement : rien n’étaye à ce jour cette affirmation.

Heureusement le propos se fait à nouveau pertinent dans la dernière partie, avec l’usage politique des seins nus dans le tableau de Delacroix La Liberté guidant le peuple, où la femme exhibe une « peau hâlée » de femme du peuple selon l’une des expertes. Le parallèle dressé avec Les Sabines de David reste fragile, mais il permet une analyse approfondie du tableau. Enfin le documentaire s’attaque au thème des seins blessés à travers la figure de sainte Agathe suppliciée par les Romains, souvent représentée de manière crue avec ses seins coupés (Zurbarán, Tiepolo). Cela permet à la réalisatrice d’enchaîner avec les œuvres contemporaines traitant du cancer du sein, non sans un passage par l’iconographie des Amazones et de leur sein tranché.

Outre que les intervenantes ne définissent pas certains concepts (« male gaze »,« sexualisation des seins »), ce documentaire laisse de côté plusieurs enjeux importants, comme le stéréotype de l’adolescente à peine pubère, le corps féminin vieillissant et la censure. Pour la période contemporaine, on pourrait citer la révolution du soutien-gorge après des siècles de corset, le surréalisme et sa déstructuration du corps féminin, les performances des Femen et surtout l’influence de la chirurgie esthétique.

Les seins dans l’art, réalisation Grit Lederer,
durée 53 min, 2023, visible sur Arte.tv jusqu’au 26 juin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : « Les seins dans l’art » effleure maladroitement son sujet

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