Maroc - Musée

L'ambition culturelle du Maroc

Le Maroc ne cache pas sa nouvelle ambition culturelle

Par Alexis Jakubowicz · L'ŒIL

Le 21 août 2013 - 1469 mots

Le pays ne cache plus sa volonté de briguer le leadership culturel dans la région. Dans ses cartons, la construction de musées, la constitution de collections et la fédération d’une scène contemporaine. Mais le chemin reste encore long…

Assise dans son bureau casablancais, Meryem Sebti, directrice de la prolifique revue Diptyk, prévient d’emblée : « Le milieu de l’art contemporain au Maroc est à géométrie très variable. » Comprendre que le pays est en prise à de gentilles querelles de chapelles. Bernard Collet, critique et commissaire hyper-investi auprès des jeunes artistes n’en dit pas moins : « un véritable clash » entre anciens et modernes affecterait parfois les projets de développement. Le royaume, qui a sous l’impulsion de Mohamed VI de vraies ambitions culturelles, doit fabriquer ex nihilo ses outils et ses institutions.

À Rabat, les prémices d’une ambition
Premier chantier initié de longue date : le Musée d’art moderne et contemporain de Rabat. D’abord confié à l’architecte Rachid Andaloussi, le bâtiment sera finalement signé par le cabinet Chakor. Un observateur extérieur avisé déplore ce choix conservateur : « Le projet d’origine était digne des ambitions internationales du Maroc, on en a changé pour un palais néo-oriental sans audace. » Toujours est-il que le musée doit ouvrir en fin d’année. Le peintre Mehdi Qotbi, chargé par les autorités, via la toute jeune Fondation des musées, de diriger les chantiers nationaux supplie d’être patient : « Il est normal qu’on avance et qu’on recule, c’est notre premier projet. Nous n’avons pas de compétences en la matière. Il faut que l’on apprenne. »
Depuis des mois, il frappe aux portes de personnalités du monde entier. La Fondation, légalement investie en juillet, doit proposer quatorze noms pour former un conseil d’orientation ; dix seront retenus. Sans surprise on devrait y trouver Jack Lang et Pierre Bergé, mais également Emily K. Rafferty, présidente du Metropolitan Museum of Art (New York), et Manuel Borja-Villel, directeur de la Reina Sofía (Madrid). Mehdi Qotbi mobilise les forces vives de l’art partout où elles se trouvent.

Un nécessaire effort de pédagogie à faire
Néanmoins, le musée de Rabat génère des frustrations. Comme il n’y a pas de collections nationales, il faut que les privés consentent à des dépôts. Or, au Maroc, les avant-gardes des années 1950 ont inondé le marché. Les abstractions lyriques ou géométriques de Mohamed Melehi, Farid Belkahia, André Elbaz, Mohamed Chebaa, Ahmed Cherkaoui et d’autres s’arrachent à prix d’or. Les collectionneurs susceptibles d’alimenter le musée n’ont pratiquement que ça. Personne n’enlève à ces « modernes » leur mérite historique, mais beaucoup craignent la mise en place d’un parcours trop conservateur.
De l’extérieur, un initié caricature : « Pour beaucoup de Marocains, l’art c’est la peinture, ça a forcément un cadre autour et ça se met au-dessus d’un canapé. » Jean-Hubert Martin, qui prépare pour l’Institut du monde arabe une grande exposition prospective d’art contemporain, est plus nuancé : « Il y a au Maroc un vrai clivage entre les tenants de la peinture abstraite et les scènes plus contemporaines. » Conscient qu’il y a urgence à sensibiliser le public à d’autres formes d’expression, Alami Lazraq, collectionneur et P.-D.G. du groupe Alliances, opte pour la stratégie du cheval de Troie. Il a constitué pour la faire voyager à travers le pays une collection d’estampes des principaux mouvements du XXe siècle. Ainsi les Marocains pourront-ils se confronter à Dada, au Nouveau Réalisme, à l’art conceptuel et au Pop Art. Monsieur Lazraq, qui a récemment inauguré au pied de l’Atlas un parc de sculptures monumentales, prévoit de créer dans les deux prochaines années un musée d’art africain à Marrakech.

Le troisième coté d’un triangle Dakar-Bamako-Maroc
C’est que le continent est un enjeu de taille. L’influence économique et politique du royaume s’étend déjà très loin au sud. Les Marocains veulent et peuvent à présent s’assurer le leadership culturel. De l’avis conjoint de l’artiste Amina Benbouchta et de Meryem Sebti, Hicham Daoudi a su créer avec la Marrakech Art Fair un outil de dimension internationale. Après avoir attiré en Afrique Dominique Fiat, Éric Hussenot et la Galerie Continua, la foire a connu quelques atermoiements. Les Marocains savent qu’il y a toujours une carte à jouer entre la Biennale de Dakar et les Rencontres photographiques de Bamako.
Cet axe, Ghita Triki entend bien le développer. La responsable du pôle art et culture de la Fondation Attijariwafa Bank multiplie les relais en Afrique subsaharienne. Rattachée à l’un des plus importants groupes financiers du continent, elle gère à Casablanca l’espace d’art Actua et les deux mille œuvres de la banque. L’institution, dont l’actionnaire majoritaire est la famille royale, est implantée au Sénégal, au Mali, au Congo et au Gabon ; son mécénat suit cette voie. Grâce aux conseils d’Ousseynou Wade, ancien secrétaire général de la Biennale de Dakar, la fondation fait entrer dans ses collections des œuvres de Serigne Mbaye Camara, Armin Kane, Barkinado Bocoum ou de la Tunisienne Mouna Jemal Siala. Cette stratégie panafricaine doit s’exporter à Londres en octobre. Touria El Glaoui, fille du célèbre peintre aux chevaux Hassan El Glaoui, prépare en marge de Frieze la première édition de la foire 1:54, dédiée aux artistes africains.

Les artistes marocains, une vraie carte à jouer
Pour le reste, le Maroc se dynamise par la base, c’est-à-dire par les artistes. Hassan Darsi a créé il y a dix-sept ans La Source du Lion pour combler un circuit qui n’était pas adapté à sa formation. Diplômé des Beaux-Arts de Mons en Belgique, il s’est inventé un cadre de travail et de rencontre qui a au fil du temps contribué à la métamorphose du paysage artistique. Avec l’apport de son épouse Florence, critique et commissaire, La Source est à présent un lieu de réflexion, de résidence, de lecture, d’exposition et de workshop. Un centre d’art privé dans un modeste appartement de Casablanca où l’on fabrique in vivo l’histoire de l’art marocaine. Loin des influences de la peinture « moderne », Hassan Darsi poursuit une œuvre résolument contemporaine qui n’est pas, comme il dit, « tombée dans le piège de la commande tacite ».
Ce concept forgé par l’historien Mohamed Rachdi, qui dirige en outre les collections de la Société Générale du Maroc, incrimine les artistes qui surjouent pour le public occidental les thèmes du voile ou de l’islamisme. Meryem Sebti rappelle avec joliesse que certains artistes aiment regarder les pissenlits éclore dans la nuit. Ceux-là souvent, comme Hicham Berrada, jeune pousse déjà montrée au Palais de Tokyo, poursuivent leur carrière à l’étranger.
Le Maroc jusque-là n’avait pas grand-chose à leur offrir. Preuve peut-être que la situation change, Mounir Fatmi, l’enfant prodige du pays, doit exposer dans la dynamique galerie de Fatma Jellal. Lui qui avait montré des toiles académiques il y a de nombreuses années chez la pionnière Leila Faraoui revient avec l’aura d’un artiste international. Beaucoup estiment que le royaume du Maroc devrait miser davantage sur la diaspora, mais aussi et peut-être surtout sur les artistes formés à l’école des beaux-arts de Tétouan. « Les anciens ont travaillé la peinture de manière extrêmement juste, estime Bernard Collet, mais le pays a changé. Amina Benbouchta, Batoul S’Himi, Jamila Lamrani, Safaa Erruas, Faouzi Laatiris, ce sont eux que les institutions naissantes devraient mettre en avant. »

Dans le Maroc culturel, des Français omniprésents

Conservateurs, artistes ou galeristes, les Français sont très présents au Maroc. Mehdi Qotbi, qui a la lourde tâche de piloter plusieurs chantiers institutionnels du royaume, a sollicité la direction des Musées de France dès son arrivée à la tête de la Fondation. Il a reçu de leurs experts un rapport détaillé sur les normes de circulation et de sécurité des bâtiments. Côté programmation et politique culturelle, il s’est entouré d’Henry-Claude Cousseau, ancien directeur de l’École des beaux-arts de Paris. Mehdi Qotbi confesse : « Personne n’est aujourd’hui compétent pour prendre en charge la gestion des musées. Nous avons besoin d’aide. » Il a conclu entre autres des partenariats avec le Louvre, le MuCEM et le Palais de Tokyo en insistant chaque fois sur la formation des agents culturels. À eux seuls, Jean de Loisy et ses équipes devraient en former une vingtaine en marge d’une manifestation prévue à Fès en 2015.

La même année devrait ouvrir à Marrakech un musée privé d’art africain. Initié par l’homme d’affaires Alami Lazraq, le projet bénéficie des conseils de Jean-Hubert Martin. Le commissaire des « Magiciens de la terre » sera par ailleurs aux commandes d’une grande exposition d’art contemporain marocain à l’Institut du monde arabe en septembre 2014. D’autres professionnels côtoient le pays depuis longtemps déjà : c’est le cas notamment de l’architecte et scénographe Philippe Délis, qui accompagne de nombreux projets, et de Philippe Cazal. Après avoir été l’instigateur de la Bibliothèque associative internationale d’art moderne et contemporain de Rabat, l’artiste débute avec Guy Limone un projet collaboratif étendu dans tout le pays.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : Le Maroc ne cache pas sa nouvelle ambition culturelle

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