L’art en procès permanent

Bernard Edelman analyse le procès Brancusi et revient sur le droit à l’image

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2001 - 545 mots

Parallèlement à la réédition du Droit saisi par la photographie, Bernard Edelman offre avec L’Adieux aux arts. 1926 : L’affaire Brancusi une réflexion sur le statut juridique de l’œuvre d’art aux États-Unis, et la transformation de celle-ci en marchandise.

“Comment avait-on pu en arriver-là ? Je veux dire comment le débat avait-il pu être transporté sur le terrain – ô combien périlleux – de la beauté et de l’émotion esthétique ? Comment des juges, pragmatiques et doués d’un solide bon sens, avaient-ils pu s’égarer sur cette voie ?”, s’étonne Bernard Edelman. C’est pourtant de cette confusion des genres que l’auteur puise la source de son dernier ouvrage, consacré au procès intenté par Edward Steichen contre les autorités américaines pour taxation, au titre d’objet manufacturé, de l’Oiseau dans l’espace de Constantin Brancusi. Publiée en 1995 chez Adam Biro, mise en scène en 1996 par Éric Vigner, l’affaire “Brancusi contre les États-Unis” est aujourd’hui analysée par Bernard Edelman selon une méthode initiée avec Le Droit saisi par la photographie (1973, Maspéro). À l’occasion de sa réédition en poche par Flammarion, l’ouvrage est accompagné de textes plus récents, dont “Le personnage et son double”. Paru en 1980 au recueil Dalloz, cet article sur l’identité juridique des personnages de fiction ravira les admirateurs d’Ann Lee, personnage de manga racheté et libéré par Pierre Huyghe et Philippe Parreno. Dans ces écrits, le juriste s’attaque aux notions inhérentes à la constitution du droit d’auteur et à la mise en place progressive d’une propriété privée sur notre environnement visuel. Créations de l’esprit mais aussi sujets, rues ou paysages sont autant d’éléments que l’appareil législatif doit alors intégrer.

L’Adieu aux arts. 1926 : L’affaire Brancusi s’inscrit dans cette logique. Tout en relevant les réactions populaires suscitées par le procès, et les interrogations d’un pays quasiment vierge de toute avant-garde (l’art doit-il est être une imitation de la nature ? Jusqu’où peut aller l’abstraction ?), l’ouvrage s’attache surtout à décrypter les causes souterraines de la polémique, comme l’idée de “contrat social” attachée au copyright américain. Opposé à la propriété intellectuelle européenne, celui-ci engage la responsabilité du créateur vis-à-vis du peuple. “Son but ultime est de stimuler la créativité artistique pour le plus grand bien du public”, estime encore en 1975 la Cour suprême. D’aucuns n’hésitèrent d’ailleurs pas à juger en 1926, que pareil service n’étant pas rendu par Brancusi, il n’avait pas à bénéficier pour ses pièces du statut d’œuvre d’art. Mais au final, la cour américaine finira par donner raison à l’artiste. Une décision qui met à mal le calcul théologique, démocratique et capitaliste développé autour du “Grand Art” par la loi américaine, et qui impliquait que “l’œuvre ne devait pas être une marchandise ; elle devait n’avoir aucune valeur usage”. Un gain de cause, parallèle au développement international du marché de l’art et qui, pour Bernard Edelman, n’est pas une réelle victoire. Si Walter Benjamin jugeait que la réponse du communisme au fascisme était “de positiver l’art”, l’auteur conclut que “la réponse du capitalisme est de le rendre aussi vain que lui-même”.

- Bernard Edelman, L’Adieu aux arts. 1926 : L’affaire Brancusi, éditions Aubier, Paris, 2001, 172 p., 99 F, ISBN 2-2700736834. .
- Idem, Le Droit saisi par la photographie [1973], Champs Flammarion, Paris, 2001, 200 p., 44 F, ISBN 208081477X,.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°123 du 16 mars 2001, avec le titre suivant : L’art en procès permanent

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