Numérique

FINANCE

Une application pour estimer la valeur future d’un objet d’art

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2019 - 785 mots

GÊNES / ITALIE

Kellify, une start-up italienne, utilise l’intelligence artificielle pour évaluer toiles de maître, voitures d’époque ou vins millésimés, en vue d’obtenir un prêt à un meilleur taux ou de réaliser un investissement sûr. Ses clients sont aujourd’hui essentiellement des banques et compagnies d’assurances.

application Kellify
Vue de l'application Kellify
© Kellify

Gênes. Lorsqu’il s’agit d’émettre un avis sur une œuvre d’art ou de l’acquérir, Francesco Magagnini ne se fie pas à son impulsion et à ses émotions mais à l’intelligence artificielle. En 2017, avec Fabrizio Malfanti et Gabriele Torre, il cofonde à Gênes « Kellify ». Cette start-up permet d’anticiper l’évolution du prix des œuvres d’art ou des objets de collection plus sûrement que ne pourrait le faire l’œil aiguisé d’un expert. « Moi-même je ne connais rien à l’art, confesse en riant Francesco Magagnini, et je me méfie des jugements esthétiques qui peuvent fausser les calculs mis à la disposition de nos clients. » Pour l’instant, ses clients ne sont pas encore des collectionneurs ou des antiquaires mais essentiellement des banquiers, des assureurs et des gestionnaires de fortune pour qui le mot « art » ne rime pas avec « passion » mais avec « investissement ».

Un algorithme calculant la réception de l’œuvre d’art
Francesco Magagnini, cofondateur de Kellify. © Kellify
Francesco Magagnini, cofondateur de Kellify.
© Kellify

À la différence des autres marchés traditionnels comme ceux des matières premières ou des capitaux, le marché de l’art ne dépend pas directement de l’économie réelle. Ses fluctuations ne sont pas aussi brusques et les plus-values escomptées sont le plus souvent réalisées à un horizon qui se compte en décennies. « Nous nous adressons à des investisseurs qui ne veulent pas attendre quinze ou vingt ans pour bénéficier des plus-values de leur acquisition », explique Francesco Magagnini, qui préfère à la subjectivité du connoisseur la rationalité de son application. Elle repose sur le « machine learning » (apprentissage automatique), qui a passé au crible les résultats de plus de 200 millions de transactions réalisées dans les salles de ventes au cours de ces quarante dernières années, des plus prestigieuses à Londres, New York ou Hongkong aux plus modestes. « Nous avons ajouté une fonction qui prend l’empreinte digitale de l’œuvre d’art, mais aussi de tout objet qui peut être collectionné : bouteilles de vin, sacs, voitures, chaussures de sport…, détaille Francesco Magagnini. Couleur, forme, année de création, auteur…,l’intelligence artificielle prend en compte toutes les caractéristiques pour déterminer ce que cela suscite comme réaction chez un être humain et le croise avec les résultats du marché. On sait ainsi si un Matisse se vendra mieux à Tokyo ou à Paris ou si un sac avec des motifs à fleurs aura plus de succès qu’un autre avec des formes géométriques. »

Kellify s’adresse surtout aux compagnies d’assurances, lesquelles peuvent ainsi affiner leurs expertises. Le coût pour le client diminue mais ce dernier peut aussi faire assurer des objets qui n’étaient pas pris en considération jusqu’ici. Les banques ont également recours à l’application pour consentir des prêts. « L’Art Lending », qui permet aux collectionneurs d’emprunter sur la base de leurs œuvres servant de garanties, enregistre une croissance annuelle de 13 % aux États-Unis où 67 % des gestionnaires de fortune déclarent y avoir recours.

Un marché qui se développe de plus en plus en Europe, en particulier au Royaume-Uni où sa valeur s’établissait à 10 milliards d’euros en 2017. Kellify veut saisir ces opportunités. « Évaluer un sac Hermès, une sculpture de Picasso ou une paire de Nike d’un modèle rare est la même chose pour nous, précise Francesco Magagnini. Ce qui retient le plus souvent les personnes d’investir dans l’art, ce n’est pas tant le prix de l’œuvre que le fait de devoir immobiliser son argent pendant des années avant que l’opération puisse devenir rentable. Notre application établit un prix d’achat conseillé et estime la marge de gain sur deux ans. »

Entre physiciens, mathématiciens, chefs de projet et économistes, Kellify emploie vingt personnes et a pour objectif d’en employer 45 avant la fin de l’année. La start-up se développe essentiellement aux États-Unis, où elle a ouvert un bureau à New York, mais aussi en Asie et en Suisse. En juillet 2018, Kellify a levé 1,74 million de dollars de capital-investissement et espère obtenir 5 millions de dollars d’ici à la fin de l’année.

S’adresser de plus en plus aux particuliers

Francesco Maganini ne veut pas cantonner son application au seul monde la finance. Il rendra Kellify de plus en plus accessible aux particuliers à l’horizon 2021 : « Elle peut être utilisée aussi bien par les grandes fortunes qui désirent avoir une approche rationnelle en effectuant certains achats que par les jeunes qui n’ont pas les moyens de s’offrir une toile de maître et veulent néanmoins pouvoir mobiliser des sommes modestes dans des objets plus accessibles. » Si les fondateurs de Kellify ne connaissent rien à l’art proprement dit, ils entendent démontrer qu’investir est un art dans lequel ils sont passés maîtres.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°531 du 18 octobre 2019, avec le titre suivant : Une application pour estimer la valeur future d’un objet d’art

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque