Prouvé, de Nancy à l’Afrique

Une anthologie Jean Prouvé à la galerie Jousse-Seguin

Le Journal des Arts

Le 27 mars 1998 - 660 mots

Jean Prouvé (1901-1984), réfutant les étiquettes, se désignait volontiers comme un « constructeur » et considérait qu’il n’y a pas « de différence entre la construction d’un meuble et celle d’une maison ». En rassemblant à la fois des éléments d’architecture et du mobilier, la galerie Jousse-Seguin témoigne de cette ambition et propose un surprenant aperçu de son œuvre.

PARIS - Derrière les portes de l’entrepôt de la rue des Taillandiers qui sert de show-room à Philippe Jousse, un spectaculaire condensé de l’œuvre de Jean Prouvé attend le visiteur. À la fois ingénieur, architecte et entrepreneur – ce qu’il résumait en se qualifiant de “constructeur” –, le célèbre Nancéien a créé aussi bien des maisons que des meubles ou des éléments de construction (le fameux mur-rideau). De nombreuses années de collecte ont été nécessaires pour montrer aujourd’hui toutes les facettes de son art. Depuis maintenant quinze ans, Philippe Jousse traque aux quatre coins de la France, et même de l’Afrique, les vestiges du travail de Prouvé. Parfois dans des conditions rocambolesques, comme pour l’auvent de l’ancienne Sécurité Sociale du Mans (1952) exposé ici.

 Alors qu’il le convoitait en vain depuis longtemps, la ville l’a un jour informé que l’auvent allait être détruit. Dans l’urgence, il a dû constituer une équipe afin de le démonter au plus vite, obtenant même du démolisseur un délai de deux heures supplémentaires pour achever son travail de sauvegarde. Néanmoins, ses dimensions monumentales (5 x 13 m) n’ont pas permis de le présenter dans son intégralité. Sa structure est en tout point semblable à celle du piétement des tables “compas”, Prouvé considérant que les mêmes principes constructifs devaient s’appliquer au mobilier et au bâtiment. De telles idées se retrouvent dans le poste de garde de l’usine Férembal (1944-1948), remonté dans la galerie, ou encore dans le fragment du bureau principal de cet établissement : il s’agit d’une construction préfabriquée de 185 m2, bâtie selon le système de portique axial en tôle d’acier pliée. Tout le système constructif de Prouvé est basé sur cette tôle d’acier pliée qui l’a beaucoup inspiré. L’aluminium sera son autre matériau de prédilection : “L’alu est un matériau constructif de structure à employer massivement. Il se patine, ne se corrode pas”, écrivait-il. Les panneaux de façade de la Compagnie industrielle de matériel et de transport (CIMT), réalisés en 1963, illustrent bien l’importance de ce métal dans la conception de ses murs-rideaux. Aluminium toujours avec les cloisons à hublots fabriquées en série, comparables à celles de la maison à portique de Nancy.

Des possibilités constructives
À côté de ces spectaculaires éléments d’architecture, Philippe Jousse présente quelques remarquables exemples du mobilier de Prouvé. Parmi les meubles commandés par Air France pour son siège de Brazzaville, rassemblés ici, se détache une table massive dont le plateau de bois a pris d’improbables teintes métalliques. Sont également exposées des chaises, plus importantes pour le galeriste que celles du Bauhaus, qui ne “sont finalement qu’un exercice de style”. Prouvé a en effet toujours refusé la technique des tubes d’acier cintrés développée au Bauhaus par Marcel Breuer, car, ainsi que l’observait Hubert Damisch, “le cintrage d’un tube de section constante n’obéit pas à une détermination et n’ouvre pas de possibilités constructives”. Philippe Jousse souligne que, contrairement au principe affiché de la fabrication industrielle, Prouvé apportait toujours une amélioration à ses meubles, entraînant la constitution de petites séries. Celles-ci n’en ont que plus de valeur, comprise entre 5 000 et 7 000 francs. Quant aux tables, suivant leur rareté, les prix varient de 6 000 à 100 000 francs.

En parallèle, la galerie Enrico Navarra expose d’autres meubles, du 8 avril au 25 mai, notamment une table de conférence longue de cinq mètres, un imposant bahut suspendu et un bureau “Présidence”.

JEAN PROUVÉ, exposition-vente jusqu’au 25 juin, galerie Jousse-Seguin, 5 rue des Taillandiers, 75011 Paris, tél. 01 47 00 32 35, tlj sauf dimanche 10h-19h, samedi 11h-19h. Un catalogue est édité à cette occasion, en collaboration avec la galerie Enrico Navarra.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°57 du 27 mars 1998, avec le titre suivant : Prouvé, de Nancy à l’Afrique

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