Galerie

ART CONTEMPORAIN

Mark Tobey en altitude

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2020 - 666 mots

PARIS

La galerie Jeanne Bucher Jaeger présente une exposition du précurseur de l’expressionnisme abstrait. De niveau muséal, l’accrochage met en relief l’empreinte du spirituel sur son œuvre.

Mark Tobey, White Space, 1955, tempera sur papier, 20 × 31 cm. © Photo Jean-Louis Losi
Mark Tobey, White Space, 1955, tempera sur papier, 20 × 31 cm.
© Photo Jean-Louis Losi

Paris. Entre Mark Tobey (1890-1976) et la galerie Jeanne Bucher Jaeger, c’est une longue et vieille histoire. Elle débute en 1945 lorsque Jeanne Bucher, partie juste après la guerre à New York pour voir ses deux filles, y rencontre l’artiste. Immédiatement passionnée par son travail, elle rapporte quelques œuvres dans ses bagages avec l’intention de lui organiser à la fin 1946 une exposition dans sa galerie du boulevard du Montparnasse à Paris. Mais elle mourra un peu avant. Ce n’est que neuf ans plus tard, en 1955, que son petit-neveu et successeur Jean-François Jaeger organisera la première exposition monographique importante du peintre américain à Paris. Ce riche passé permet de proposer aujourd’hui une sélection de niveau muséal. Intitulée « TOBEY or not to be », montée en collaboration avec la collection particulière de Bueil & Ract-Madoux, l’exposition (la 7e au total chez Jeanne Bucher Jaeger), composée de 44 œuvres datées de 1940 à 1970, se présente comme la plus importante en France depuis celle organisée en 1961 par le Musée des arts décoratifs.

On y découvre ainsi Untitled (une gouache et tempera sur papier) de 1940 qui superpose un poisson et un oiseau : elle est l’une des toutes premières et rares œuvres de l’artiste alors encore figuratif. Elle est accrochée à côté d’Animal Totem (une tempera sur carton de 1944), l’une de celles rapportées par Jeanne Bucher en 1945. Un peu plus loin, prêtée par le Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, à qui la galerie l’a vendue en 1968, Unknown Journey est l’une des deux plus grandes huiles sur toile (207 x 128 cm) peintes par Tobey, l’autre, Red Sagittarius, appartient au Kunstmuseum de Bâle. Voilà pour le livre des records.

Une quête du sublime

Sur le plan plastique, l’ensemble offre un parfait résumé de la cohérence de l’œuvre et de la démarche de celui qui est régulièrement considéré comme le précurseur de l’expressionnisme abstrait et le pionnier du « all over » – évidemment regardé par Pollock…

L’exposition rappelle que Tobey s’est nourri de ses nombreux voyages pour proposer une vision synthétique du monde et en conjuguer ses pôles opposés, le microcosme et le macrocosme (du tas de cailloux à la Voie lactée), l’Occident et l’Orient. Sur ce dernier aspect, l’accrochage, à part quelques pièces isolées, privilégie des groupes de cinq ou six œuvres, et montre à quel point ses pérégrinations ont influencé son travail. Tobey aimait séjourner longuement à l’étranger pour s’imprégner des cultures rencontrées aussi bien en Europe (Paris, Londres) qu’au Moyen-Orient (Liban, Israël), en Chine ou au Japon. Il ira jusqu’à se convertir à la foi Baha’ie et à apprendre la calligraphie chinoise et perse comme dans cette série de « Sumi » qui en sont directement inspirés. La cristallisation de toutes ses expériences atteint des sommets avec ses fameuses écritures blanches, des lacis de petites lignes blanches entremêlées dans lesquelles Tobey magnifie les sensations, les vibrations. Le tout guidé par une foi en l’universalité, une quête métaphysique, mystique, une recherche du sublime…

De façon plus terre à terre, il est difficile de connaître les prix des œuvres. « C’est une exposition non commerciale. Rien ne sera à vendre pendant toute sa durée », affirme Véronique Jaeger, la directrice de la galerie. Qui ajoute toutefois : « Par la suite on verra. »À bon entendeur… Bon nombre d’œuvres ne sont de toute façon pas à vendre. À titre indicatif, signalons qu’à l’exception de quelques pièces ayant atteint le sommet de 1 million d’euros environ, la cote de Tobey se situe plutôt entre 30 000 et 500 000 euros en fonction de la taille et de la date des œuvres. Soit nettement moins que les prix atteints par les autres grands abstraits américains – mais il ne faut pas oublier que Tobey n’a quasiment peint que des petits formats . On oserait donc presque dire des prix « modestes », comme le fut Mark Tobey toute sa vie.

Mark Tobey, Tobey or not to be,
jusqu’au 16 janvier 2021, Galerie Jeanne Bucher Jaeger, 5, rue de Saintonge, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°553 du 16 octobre 2020, avec le titre suivant : Mark Tobey en altitude

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