Antiquaire - Police

Maître Yves-Bernard Debie : « La provenance de ce masque est particulièrement bien documentée »

Par Jean-Christophe Castelain · lejournaldesarts.fr

Le 12 juillet 2023 - 1099 mots

L’avocat de deux antiquaires suspectés d’avoir mis sur le marché un masque d’époque ptolémaïque pillé explique que ce masque n’a rien à voir avec les masques que la police belge leur oppose. Il raconte les péripéties de l’enquête et annonce avoir saisi la Cour d’appel afin de sanctionner la procédure selon lui irrégulière et récupérer le masque.

À gauche un masque d’époque ptolémaïque prétendument pillé et découvert par les enquêteurs sur Facebook, à droite celui d'Antonia Eberwein. Courtesy Yves-Bernard Debie
À gauche un masque d’époque ptolémaïque prétendument pillé et découvert par les enquêteurs sur Facebook, à droite celui d'Antonia Eberwein.
Courtesy Yves-Bernard Debie

Libération affirme que deux antiquaires que vous défendez ont mis sur le marché un masque égyptien qui aurait été pillé. Pouvez-vous rappeler les faits ?
En janvier 2020, les enquêteurs du service économique belge saisissent, durant la Brafa, sur le stand de la galeriste allemande installée à Paris, Antonia Eberwein, un masque en cartonnage d’époque ptolémaïque. Ce masque lui a été confié par l’antiquaire Vincent Geerling, lequel a cessé ses activités en 2019 pour prendre sa retraite. Le masque, passé au crible du Art Loss Register, s’est vu délivrer un certificat de bien culturel français (passeport).

Quelle est la provenance de ce masque ?
Vincent Geerling détenait le masque pour l’avoir acquis d’un particulier néerlandais qui en avait hérité de son grand-père. Le vendeur lui a fourni une attestation de provenance, une facture d’achat original en arabe dans les années 1950 ainsi qu’une photo de son grand-père avec le marchand devant sa galerie au Caire. C’est un masque de belle facture d’époque ptolémaïque. Ce type de masque n’est pas rare mais celui-ci est particulièrement élégant, ce qui n’est pas toujours le cas à cette époque où nombre d’exemplaires sont affectés d’un strabisme et d’un sourire peu harmonieux. 

Antonia Eberwein a-t-elle été entendue par la police ?
Quelques jours après la saisie, Antonia Eberwein a été auditionnée par des enquêteurs. Je l’accompagnais. Certains qu’il s’agissait d’une œuvre pillée, ils nous ont littéralement balancé la photo d’un masque identifié sur la page Facebook de présumés trafiquants, laquelle reprenait également la photo de trois « pilleurs » sur un site de fouilles clandestines. Passé l’effroi provoqué par une telle affirmation, la simple comparaison des photos du masque saisi et de celui prétendument pillé a démontré de façon irréfutable que ce n’étaient pas les mêmes. Ainsi, le nombre de colliers et les motifs représentés sont différents. Quelques recherches complémentaires dans les jours suivants permettront de retrouver la parution scientifique dont était extraite la photo des archéologues présentés à tort comme des pilleurs.

Fin de l’histoire ?
Non, malheureusement. La libération du masque saisi m’ayant été refusée, je reçois néanmoins accès au dossier répressif où je constate, tout d’abord, que la saisie fondée sur une page Facebook a été pratiquée sur base de la dénonciation d’un égyptologue travaillant avec le British Museum, mais aussi à son compte lorsqu’il conseille des collectionneurs. J’y découvre surtout que les enquêteurs, depuis un an, tentent de faire le lien avec un autre masque ptolémaïque, lui aussi prétendument pillé. Rebelotte, dans la mesure où les différences sont moins nettes, je demande à Jacques Billen, égyptologue et marchand reconnu, de se livrer au jeu des sept erreurs. Ses conclusions sont sans appel : ce ne sont pas les mêmes masques !
Cette fois, c’en est assez. Face au nombre d’irrégularités procédurales, nous saisissons la cour d’appel de Bruxelles afin qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour constitutionnelle afin de lui permettre de les sanctionner comme autant de fautes. Une décision devrait intervenir dans l’année mais, dans l’intervalle, c’et le triangle des Bermudes, la procédure est en panne et mes clients, qui n’ont jamais été inculpés ou mis en examen, ne peuvent toujours pas récupérer leur masque.

Donc pour résumer, vous dites que les masques soi-disant volés que l’on vous oppose n’ont rien à voir avec le masque de vos clients ?
Oui, c’est exactement cela. Il n’y aucun élément démontrant que les deux masques dont on nous dit qu’ils auraient été pillés aient une origine illicite. Comprenez bien que l’on ne sait strictement rien des deux masques qu’on nous oppose (D’où viennent-ils ? Où sont-ils ? Qui a pris les photos ?). Et il ressort de leur comparaison au masque de mes clients qu’il ne s’agit pas des mêmes.

Pourquoi y-a-t-il autant de masques ptolémaïques ?
La période ptolémaïque a duré 300 ans, ce qui veut dire des centaines de milliers de morts pour lesquelles étaient réalisés, souvent par les mêmes ateliers, des sarcophages en série suivant des canons bien spécifiques. C’est ce qui explique que ces masques se ressemblent. Ils sont parfois presque identiques lorsqu’ils sont issus d’une même nécropole ou, mieux encore, d’une même famille.

La provenance du masque de vos clients est un peu curieuse non ?
La provenance de ce masque est, au contraire, particulièrement bien documentée. Il est, en effet, rare que l’on ait conservé la facture d’achat original. Il faut bien comprendre que de la conquête napoléonienne et l’égyptomanie qu’elle suscite à 1983 où l’Egypte décide d’interdire l’exportation de ses antiquités, près de deux cents ans se sont écoulés durant lesquels ces œuvres ont parcouru le monde et sont venues enrichir nos collections privées et nos musées. La recherche des provenances est une préoccupation très récente qui se heurte souvent à l’absence totale de documentation. En France, comme dans beaucoup de pays, le possesseur d’une œuvre est présumé de bonne foi et n’a pas à en faire la démonstration. C’est notamment pour cette raison que l’Etat français a refusé de ratifier la convention UNIDROIT de 1995 qui institue une inversion de la charge de la preuve. Dans ce contexte, les marchands font au mieux pour retracer le passé d’une œuvre. 

Le fait que Vincent Geerling ait commercé avec les frères Simonian dont Le Monde dit que ce sont des trafiquants notoires est suspect ?
Ni Vincent Geerling ni Antonia Eberwein n’ont commercé avec les Simonian mais ils auraient très bien pu. La question n’est pas de savoir si on a travaillé avec des gens qui, aujourd'hui, ont des ennuis judiciaires, la question, c'est quand, comment et sur quels objets. Par ailleurs, il n’existe aucun lien entre le masque de mes clients et les consorts Simonian.

Comment se porte le marché des objets archéologiques ?
C’est un marché en pleine transition qui a fait l’objet de beaucoup d’attaques mais dont les acteurs sont résilients. L’intérêt et la passion des collectionneurs ne s’est jamais démenti et les organisations professionnelles de marchands d’art déploient d’importants efforts pour structurer et codifier leur activité. Il faut saluer, sur ce point, les efforts à l’international de la CINOA (Confédération Internationale des Négociants en Œuvres d'Art) ou de l’IADAA (International Association of Dealers in Ancien Art), de la ROCAD.be (Chambre royale des marchands d'art Belges) et, en France, du SNA (Syndicat National des Antiquaires) ou du CPGA (Comité Professionnel des Galeries d’Art).

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