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ART CONTEMPORAIN

Les jeux de maux d’Erik Dietman

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 23 décembre 2022 - 534 mots

PARIS

La mort, l’érotisme et l’humour traversent l’œuvre de l’artiste rabelaisien exposé à la Galerie Papillon à l’occasion du 20e anniversaire de sa disparition.

Paris. Il n’y avait bien qu’Erik Dietman (né à Jönköping en Suède en 1937 et décédé à Paris en 2002) pour pouvoir imaginer des toilettes à l’assise cubique ! Elles sont le sujet mis sur le trône de l’un des 140 dessins exécutés sur papier en recto verso (soit 70 feuilles) de la suite « Opus, Oh puce, Aux Puces » réalisée par l’artiste entre 1992 et 1998, sur une proposition d’édition, à l’époque, de Jean-Noël Flammarion.

À l’occasion du 20e anniversaire de la mort de Dietman, Claudine (sa femme) et Marion Papilllon ont décidé d’exposer cet ensemble, muséal, encore jamais montré. Ou plus exactement pas sous cette face, car les galeristes avaient présenté les pages impaires de ce cahier au Salon du dessin contemporain Drawing Now, en mai dernier, alors qu’elles ont ici choisi les pages paires, que l’on peut évidemment retourner selon l’envie et dans lesquelles se retrouvent les grands thèmes de l’artiste. À l’exemple de la mort, très présent dans cette sélection. Ainsi, un grand dessin intitulé Kosovo, une des rares œuvres de Dietman inspirées par l’actualité, montre une mère un filet de sang coulant de sa bouche, son enfant mort dans les bras. Tandis que trois sculptures totémiques en bronze superposent chacune, au sommet d’une sorte de branche, un crâne et un corbeau. Elles faisaient partie des éléments d’une grande installation montrée au Mamac de Nice au printemps 2001 et au Centre d’art de Tanlay (Yonne) l’été de la même année, peu de temps avant le décès de son auteur. La mort enfin apparaît dans six dessins érotiques rassemblés dans une salle au premier étage que Claudine Papillon a baptisée « un petit enfer » selon la terminologie du XVIIIe siècle qui désignait ainsi des livres ou objets à caractère licencieux. « L’idée d’enfer plaisait beaucoup à Erik. Il préférait y aller, disait-il, car tous ses amis devaient l’attendre là-bas – [Roland] Topor, [Bernard] Lamarche-Vadel… – dont le genre de vie ne les prédestinait pas au paradis », indique-t-elle.

Téléscopages surréalistes

L’érotisme, récurrent dans l’œuvre de Dietman, jalonne ici le parcours, notamment dans l’ensemble « Opus, Oh puce, aux Puces » avec l’évocation du sexe féminin, et du sexe masculin qui rôde, gaillard, à proximité. Au fil des œuvres on retrouve aussi l’autoportrait – à propos duquel Dietman disait que lorsqu’on n’a plus rien autour de soi, pas même un paysage, il y a toujours un miroir –, les télescopages surréalistes et bien sûr la poésie et l’humour (souvent noir), héroïques destriers de cet artiste érudit, raffiné, rabelaisien, truculent, fulgurant, provocateur, généreux, drôle, œnophile, fin cuisinier, jongleur d’images et créateur d’appels d’air.

Entre 3 000 euros pour les plus petits dessins et 230 000 pour « Opus, Oh puce, Aux Puces », en passant par 38 000 euros pour la sculpture en bronze et bois (exemplaire unique) intitulée L’Inventeur de l’œuf rond, les prix restent raisonnables. Ils s’expliquent en partie par le fait qu’Erik Dietman, certes singulier ainsi qu’il se revendiquait – « Déjà tout seul c’est difficile, alors pourquoi se mettre avec d’autres personnes » – n’a pas (encore) eu la reconnaissance (qu’il mérite) d’une grande institution.

Erik Dietman, je n’ai pas vraiment de langue ni de style, tout ce que je fais sort de mon moi à moi, mois après moi,
jusqu’au 14 janvier 2023, Galerie Papillon, 13, rue Chapon, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : Les jeux de maux d’Erik Dietman

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