Foire & Salon

Guillaume Piens : « Le travail de fond d’Art Paris porte aujourd’hui ses fruits »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 26 mars 2018 - 1266 mots

PARIS

La foire célèbre sa vingtième édition en 2018. Guillaume Piens, commissaire général de l’événement depuis 2012, défend le positionnement de la foire tout en expliquant le choix de mettre l’accent sur la scène française.

Guillaume Piens, commissaire général d'Art Paris art fair
Guillaume Piens, commissaire général d'Art Paris art fair
© Art Paris art fair
A l’occasion des 20 ans d’Art Paris, vous avez demandé au critique d’art François Piron de porter « Un regard sur la scène française ». Pourquoi ?

Il me semble pertinent de revenir sur ce thème en 2018, à travers le regard subjectif du curateur François Piron. Notre ambition n’est pas de traiter le sujet de manière exhaustive, mais de souligner qu’Art Paris est née en 1999 au Carrousel du Louvre et, qu’au départ – je travaillais alors à la Fiac –, c’était une foire d’appui au marché de l’art français. C’est une façon de célébrer les vingt ans en sélectionnant vingt artistes, des figures atypiques, inclassables, à redécouvrir au sein de la foire, à l’instar de Frédéric Pardo sur le stand de la Galerie Loevenbruck. La génération de ces artistes commence dans les années 1960, le plus jeune d’entre eux étant Vincent Gicquel, représenté par Thomas Bernard. Parmi eux, il y a Hessie, une figure très intéressante du Paris des années 1970, qui était dans l’ombre de Dado mais qui a été vraiment précurseuse en réalisant un travail autour de la broderie. Il y a aussi des gens plus reconnus, comme Jean-Pierre Raynaud (Galerie Caroline Smulders) et Geneviève Asse, avec un solo show chez Oniris.

Ce projet, nous ne l’aurions pas fait en 2017. Je suis très content de le porter en 2018. Peut-être est-ce lié à cette résurgence d’une fierté française ? Le contexte des élections de mai 2017 a mis le pays dans une autre dynamique, y compris vu de l’étranger.

Art Paris s’est longtemps cherchée. La foire a-t-elle enfin trouvé son positionnement ?

Il est vrai que le problème d’Art Paris a été un problème de positionnement. Au départ, il s’agissait plutôt d’une foire « anti-Fiac ». Être une foire d’appui de la scène et du marché de l’art français a toujours été sa vocation première, mais le discours porté à l’époque était trop soucieux d’internationalisation. Ensuite, certains ont voulu jouer la carte de la « double-Fiac », ce qui n’avait pas d’intérêt selon moi. Art Paris a la chance de se tenir dans un lieu magnifique, au printemps, qui est une excellente période. Mais cela ne suffit pas d’avoir de bonnes dates sous une belle verrière, il faut aussi avoir une âme. Le travail mené depuis 2012 a donc été de repositionner la foire en lui redonnant une histoire à raconter, une histoire complémentaire à celle de la Fiac. C’est pourquoi nous avons voulu nous ancrer sur des scènes, ou des « régions », que la Fiac regarde moins [l’Afrique du Sud, la Corée…, et, cette année, la Suisse, ndlr]. Le fait de parler de régions est très important pour moi.

N’est-il pas confus de défendre la scène française tout en mettant l’accent sur des « régions » étrangères ?

Pour moi, la France est une « région » de l’Europe. J’aime bien ce mot : régional. Je parle d’ailleurs de « régionalisme cosmopolite » parce qu’aujourd’hui il n’y a plus de centre ni de périphérie. Les gens peuvent se trouver dans des endroits isolés et avoir accès à Internet. Je trouve important que l’on se déplace sur des « routes » nationales ou départementales plutôt que sur des « autoroutes » où tout le monde va en général, par facilité. Art Paris cultive ainsi sa différence. C’est pourquoi nous allons à Berlin, à Milan, à Zurich, à Genève, mais aussi vers de nouveaux horizons de la création contemporaine internationale comme l’Afrique, l’Asie, la Russie, etc.

En vingt ans, la cartographie du marché de l’art a changé. Art Paris reste-t-il dans la course internationale ?

Oui. Le projet d’Art Paris a été refondé en 2012. Quand la nouvelle équipe est arrivée, nous avons mis en place un programme pour les collectionneurs qui n’existait pas auparavant. Nous avons recruté une VIP Manager pour travailler toute l’année sur le sujet. Beaucoup de foires ne sont qu’un habillage qui utilise le réseau des galeries. À Art Paris, nous avons un parcours VIP qui suscite beaucoup d’intérêt. Notre VIP Manager voyage beaucoup – elle a par exemple fait tout un travail sur la Suisse cette année [qui est le second focus d’Art Paris en 2018, ndlr]. Résultat, en 2017, parmi les 79 cercles de collectionneurs venus à Art Paris, une vingtaine de pays étaient représentés. Et sur les 54 537 visiteurs individuels, 53 pays étaient représentés l’an passé. Nos focus nous ont beaucoup aidés pour cela : celui sur l’Afrique a eu notamment beaucoup de répercussions. Chaque année, nos sujets intéressent certains, d’autres moins ; mais c’est une façon de capter l’intérêt.

Art Paris est-elle une foire tremplin ?

Les galeries débutent et grandissent souvent avec nous. Ce travail, nous le menons consciemment. Être une foire tremplin ne me gêne pas ; au contraire, c’est très bien. Il est important d’apporter du sang neuf et de sortir du monopole de certaines galeries. Notre portefeuille de galeries de taille moyenne et de galeries d’auteurs se trouve aujourd’hui dans une concurrence très difficile avec des mégagaleries à l’attitude monopolistique qui sont en train de tout aspirer. Ces dernières sont souvent dans les comités de sélection d’autres foires, empêchant d’autres galeries de monter avec des artistes qu’elles ont envie de capter. Je suis très sensible à la diversité, j’ai envie de l’encourager.

Le Grand Palais est un atout, mais n’est-il pas aussi un handicap quand il s’agit de le remplir avec des galeries parfois inégales ?

Je ne pense pas qu’Art Paris soit trop grand. Nous avons une taille moyenne par rapport à d’autres foires. À l’Arco [Madrid], il y a deux cents galeries ! Là, c’est trop grand. Nous, nous accueillons 142 galeries en 2018. Il faut avoir une taille critique pour exister : être plus petit deviendrait très vite handicapant sur le plan financier. Il y a des choses que l’on ne pourrait plus faire : louer le Grand Palais, inviter des curateurs, communiquer, envoyer le programme à 7 000 VIP… Nous avons une revue de presse importante, avec quelque six cents articles publiés dans trente pays. Ce travail est bien réel, il faut des moyens pour cela.

Est-il difficile de convaincre les galeries renommées de participer à Art Paris ?

Je suis quelqu’un de concret. Il est beaucoup plus difficile de partir d’un événement qui a mauvaise réputation que de créer un nouvel événement. Notre passé était plutôt un passif, mais nous avons assumé cela. Je suis content que notre travail de fond porte aujourd’hui ses fruits. Cela a été difficile, en 2012, d’associer les institutions au parcours VIP. Heureusement, beaucoup m’ont fait confiance.

Le travail auprès des galeries étrangères s’est fait au fur et à mesure. Elles ont vu l’énergie déployée et l’assiduité de notre travail. Pour les galeries françaises, cela a été davantage un problème d’image. Cette année, le nombre de galeries qui participent pour la première fois à Art Paris, ou qui reviennent après une longue absence, comme Odile Ouizeman, Dominique Fiat, Loevenbruck, Zlotowski, Alain Gutharc ou Backslash, montre que nous avons retrouvé une crédibilité artistique. Quelque chose a changé, et c’est très encourageant pour les années à venir. Je suis positif sur la suite, parce que les gens se rendent bien compte que Paris a besoin de deux foires importantes.

« Art Paris Art Fair »,
du 5 au 8 avril 2018. Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e. À partir de 11 h 30, les jeudi et samedi jusqu’à 20 h, le vendredi jusqu’à 21 h, le dimanche jusqu’à 19 h. Tarifs : 12 et 25 €. www.artparis.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°711 du 1 avril 2018, avec le titre suivant : "Le travail de fond d’art Paris porte aujourd’hui ses fruits"

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