Droit - Justice

Faux Chagall : une destruction obligatoire ?

Par Éléonore Marcilhac, avocate à la cour · Le Journal des Arts

Le 1 février 2022 - 737 mots

PARIS

C’est par la négative que répond la Cour de cassation en retenant l’apposition par huissier de la mention « REPRODUCTION » au dos de l’œuvre contrefaisante.

Eléonore Marcilhac, avocat à la cour
Eléonore Marcilhac, avocat à la cour.
© D.R

Paris. Les comités d’artiste, composés le plus souvent d’ayants droit et de spécialistes, jouent un rôle primordial dans la régulation du marché de l’art face à la contrefaçon, définie comme la reproduction d’une œuvre réalisée sans le consentement de son auteur ou de ses ayants droit. À tel point que leurs avis sur l’authenticité ou non des œuvres qui leur sont présentées font généralement autorité.

Face à une œuvre contrefaisante, un comité peut, en cas d’échec d’accords amiables, choisir de recourir à différents moyens tels que procéder à une « saisie-contrefaçon », engager une action en contrefaçon, ou encore solliciter la confiscation ou la destruction de l’œuvre contrefaisante. C’est ainsi qu’en 2012 l’association pour la défense et la promotion de l’œuvre de Marc Chagall, appelée aussi Comité Marc Chagall, a été approchée par le propriétaire tchèque d’une huile sur carton intitulée Femme nue à l’éventail portant la signature de l’artiste – et similaire à l’œuvre encre et gouache sur papier d’emballage brun de 1910 conservée au Centre Pompidou-Musée national d’art moderne – afin d’obtenir un certificat d’authenticité.

Une mention « Reproduction » lisible à l’œil nu et indélébile

Estimant que ce tableau n’était pas authentique, les héritiers de l’artiste et le comité ont, dans un premier temps, obtenu judiciairement la possibilité de procéder à la saisie réelle de l’œuvre contrefaisante située au sein des locaux du comité, puis ont assigné le propriétaire en contrefaçon et destruction de l’huile litigieuse. En 2017, après une expertise ayant retenu le défaut d’authenticité de l’œuvre, le tribunal de grande instance de Paris ordonna sa remise aux héritiers en vue de sa destruction par huissier.

Contestant ce jugement, le propriétaire sollicitait en appel l’annulation de la saisie et la restitution de l’œuvre sous astreinte. Subsidiairement, outre des indemnités pour préjudice de jouissance, il demandait la main levée de la saisie et la remise de la toile avec la mention « REPRODUCTION » au verso.

C’est cette dernière option qui fut retenue par la cour d’appel de Paris. Pour les juges, en effet, même si la contrefaçon était caractérisée, la destruction de l’œuvre présente « un caractère disproportionné ». Selon eux, la restitution du tableau à son propriétaire avec l’apposition préalable par huissier de la mention « REPRODUCTION » au verso, de manière lisible à l’œil nu et indélébile, est « suffisant[e] à garantir une éviction de ce tableau des circuits commerciaux ».

Les héritiers et le Comité Marc Chagall ont alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation, considérant notamment que, en n’ordonnant pas la destruction de l’œuvre, la Cour aurait violé les dispositions du Code de la propriété intellectuelle (CPI), puisque la seule mention « REPRODUCTION » ne permettrait pas au public de savoir s’il s’agit d’une reproduction licite ou non, réalisée avec ou sans l’accord de l’auteur ou de ses ayants droit.

Par ailleurs, ils soutenaient que la cour d’appel avait aussi violé les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme en privilégiant le « droit illicite » du propriétaire de l’œuvre contrefaisante sur leurs « droits licites » d’ayants droit de l’auteur, en écartant leurs intérêts légitimes et la protection de l’œuvre originale contrefaite.

Le 24 novembre 2021, leur pourvoi fut toutefois rejeté par les hauts magistrats. D’une part, l’illégitimité du droit de propriété du propriétaire soutenue par les demandeurs constitue un nouveau moyen irrecevable. D’autre part, la Cour a rappelé que les modalités de réparation étaient appréciées souverainement par les juges du fond, retenant que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des modalités de réparation de l’atteinte retenue que la cour d’appel a estimé en application des dispositions de l’article L.331-1-4 du CPI, que l’apposition de la mention “REPRODUCTION”, au dos de l’œuvre litigieuse, de manière visible à l’œil nu et indélébile, suffisait à garantir une éviction de ce tableau des circuits commerciaux ».

Destruction

À noter cependant que la confiscation ou la destruction restent des peines opportunes pour retirer des circuits commerciaux les œuvres jugées contrefaisantes. La chambre criminelle de la Cour de cassation l’a d’ailleurs rappelé le 3 novembre 2021, dans une affaire relative à deux dessins contrefaisants attribués à Modigliani, précisant que « ces peines à caractère principalement dissuasif, répond[e]nt à l’intérêt général de lutte contre la contrefaçon et garantissant de manière proportionnée que les objets contrefaisants seront définitivement écartés de tout circuit commercial afin de ne pas compromettre à nouveau les droits de propriété intellectuelle ».

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°581 du 21 janvier 2022, avec le titre suivant : Faux Chagall : une destruction obligatoire ?

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque