Suisse - Foire & Salon

Art Basel 2023, le vertige des chiffres

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 23 juin 2023 - 1034 mots

La foire Art Basel s’est conclue sans surprise avec beaucoup de ventes d’œuvres de grande qualité. Les collectionneurs asiatiques, en particulier, et les institutions muséales étaient venus en nombre.

Bâle (Suisse). Concluant son discours de présentation à la presse – le premier qu’il faisait à Bâle en tant que directeur mondial d’Art Basel –, Noah Horowitz a eu une pensée pour Marc Spiegler, son prédécesseur, qui, au cours de la décennie écoulée, « a façonné la foire », a-t-il rappelé. Avec ses 284 galeries provenant de 36 pays, réunies sur deux étages du bâtiment principal autour d’une cour intérieure, plus son hangar de luxe réservé aux 80 projets XXL d’« Unlimited », la foire affiche un format aussi immuable que rassurant. Nulle part ailleurs dans le monde on ne trouve rassemblées autant de galeries et d’œuvres d’un tel niveau dans un espace limité, a souligné Noah Horowitz. Bâle reste ainsi un indicateur sans équivalent de l’atmosphère du marché, dont elle demeure l’épicentre.

Or les galeristes semblaient unanimes pour affirmer que l’ambiance, en particulier celle des deux premiers jours, n’avait pas été aussi euphorique depuis longtemps, ni l’appétit des collectionneurs aussi aiguisé. Les chiffres communiqués à l’issue de cette édition illustrent cette dynamique positive. En deux jours, la galerie Cardi (Milan, New York) avait réalisé un chiffre d’affaires de près de 2,3 millions d’euros [2,1 M€]. Et nombre de stands, à l’issue de la foire, avaient officiellement vendu pour plusieurs millions d’euros : 3,9 millions d’euros pour Massimo de Carlo (Milan, Londres…) ; 5, 9 millions de dollars pour Gladstone (New York, Bruxelles…) [5,4 M€] ; plus de 7 millions de dollars pour Blumm & Poe (Los Angeles, New York, Tokyo) [6,4 M€] ; 9,8 millions de dollars pour Thaddaeus Ropac (Paris, Londres…) [8,9 M€] ; 65 millions de dollars pour Hauser & Wirth (New York, Zurich…) [59 M€]… ! Mais de nombreuses galeries affirment aussi être restées en deçà de la barre du million (750 000 euros pour la galerie Perrotin), voire en dessous de 100 000 euros (82 000 euros pour la berlinoise Kow).

Stimulation, cristallisation, urgence

Les œuvres présentées à Art Basel bénéficient d’un effet de stimulation et de cristallisation. Au point que même une pièce déjà vendue trouve ici un éclat qui ajoute à son aura. Ainsi d’Accumulation, Renault n° 101 (La Victoire de Salemotrice), d’Arman, qui n’avait pas été montrée en galerie depuis 1967, et dont l’imposante silhouette métallique orangée semblait à l’étroit sur le stand de Nathalie et Georges-Philippe Vallois (Paris). Offerte à la contemplation des passants, cette pièce historique issue de la collaboration d’Arman avec Renault n’en avait que plus d’attrait pour son futur propriétaire.

La foire bâloise est aussi le cadre parfait pour faire entrer un artiste dans une collection, qu’elle soit publique – les conservateurs de musée du monde entier quadrillant les allées – ou privée. Une sculpture de Thomas Houseago placée auprès d’un musée en Europe par Xavier Hufkens (Bruxelles), l’installation « Dreams have no titles (Lightbox) », 2023, de Zineb Sedira, vendue 80 000 euros par la Goodman Gallery (Johannesburg, Le Cap et Londres) au Louisiana Museum… Les exemples abondent. Cette édition de la foire a drainé 82 000 visiteurs, parmi lesquels plus de 240 institutions étaient représentées. Des chiffres qui là encore témoignent de l’attractivité intacte de Bâle.

La foire de juin cristallise également le moment où il faut acheter, ce sentiment d’urgence qui accélère le pouls et la prise de décision. « Après les deux premiers jours réservés aux VIP, quasiment toutes les œuvres du stand avaient été placées avec succès, y compris celles de Louise Bourgeois et de Roni Horn, ainsi que celles d’Ulala Imai et de Leon Kossoff, dont nous représentons à présent les successions », déclare Xavier Hufkens, propriétaire et fondateur de la galerie du même nom.

La caution bâloise sert enfin à valoriser une (re)découverte : Air de Paris (Romainville) a exhumé les xerocopies de Pati Hill, tandis que la galerie Sfeir Semler (Hambourg) alignait les tableaux numériques des années 1980 de Samia Halaby, un travail sur le code informatique aussi précurseur que peu connu.

La peinture, puis la sculpture

Une fois encore, la peinture dominait, avec des étoiles montantes comme Lucas Arruda (chez David Zwirner, New York, Londres…), ou des artistes contemporains qui font référence, tels que Mark Bradford dont la toile The Less Common Royalness (2014) a trouvé preneur pour 4,5 millions de dollars [soit 4,1 M€] (White Cube, Londres, Hongkong…). Bâle cultive aussi son socle d’artistes historiques, notamment à travers quelques galeries modernes, comme Applicat Prazan (Paris), qui dit avoir vendu un tableau de Jean Fautrier (La Mort du sanglier, 1927) pour environ 4 millions d’euros, quand la galerie Donna (New York) a placé un Paul Klee entre 3 et 4 millions de dollars [2,7 M€ et 3,6 M€].

Il semble cependant qu’à côté de la peinture – medium dominant –, la sculpture ait pris cette année davantage de place sur les stands. Des petits mobiles de Calder rassemblés par la galerie internationale Pace au Guardian en bronze d’Elmgreen & Dragset chez Perrotin… Et plus largement sur l’ensemble de la foire, le nombre de pièces en trois dimensions qui ont trouvé acquéreurs paraît avoir augmenté par rapport aux éditions précédentes. Le record revenant à l’Araignée de Louise Bourgeois (Spider IV, 1996) épinglée aux murs de Hauser & Wirth pour 22,5 millions de dollars [20,5 M€].

« Cette édition d’Art Basel a été notre foire la plus réussie, avec près de quarante ventes sur la seule première journée d’ouverture. Les œuvres ont rejoint d’importantes collections privées et institutionnelles. Nous avons rencontré d’incroyables amateurs d’art venus du monde entier, et notamment d’Asie », relate le galeriste Kamel Mennour. « L’Asie était là », a également constaté Noah Horowitz. Présente à travers les galeries (superbe stand à double fond de la Shang’art galerie consacré à Yang Fudong), mais aussi à travers la visite de nombreux acheteurs, notamment chinois, dont certains semblaient hélas parfois accompagnés de représentants de maisons de ventes. Au risque que des œuvres acquises à Bâle se retrouvent rapidement mises aux enchères à Pékin, à Shanghaï ou dans d’autres villes du pays, relevait avec dépit un marchand. Reste que « de nombreux institutionnels chinois manquaient à l’appel, assurait Daniele Balice. Nous espérons les retrouver dans quelques mois à Paris+ ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : Art Basel 2023, le vertige des chiffres

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