La chronique de Emmanuel Fessy : Saint Weiwei

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 février 2012 - 435 mots

Le 21 février, la galerie nationale du Jeu de Paume ouvrira « Entrelacs », la première grande exposition consacrée à Ai Weiwei en France. L’artiste, emprisonné pendant quatre-vingt-un jours l’an dernier, ne devrait pas être présent car il ne peut quitter Pékin sans autorisation.

Le fisc chinois lui réclame 15 millions de yuan (1,7 million d’euros) mais vient d’accepter de réétudier ce redressement en appel. De son côté, le pouvoir politique chinois entre dans une période de succession, où les contestataires sont davantage surveillés et réprimés et où vient d’être publié un texte de Hu Jintao, l’actuel président, dénonçant « les forces hostiles internationales voulant occidentaliser et diviser la Chine » et regrettant que « la puissance culturelle et l’influence (de la Chine) ne correspondent pas encore à sa place internationale ».

Le décor est planté. D’un côté, un pouvoir répressif qui fait l’unanimité contre lui en Occident, de l’autre un artiste, juste défenseur de la liberté d’expression, qui fait l’unanimité pour lui. Pas une critique ni une question sur « saint Weiwei ». Ainsi, les ex-maoïstes purs et durs des années 1960-1970, sans doute par dépit, le soutiennent avec ardeur – le même aveuglement ? – oubliant qu’en Chine, et ailleurs, des dissidents sont devenus de funestes tyrans. Dans ce bel œcuménisme, osons quelques nuances. Si Ai Weiwei s’oppose aujourd’hui au système, il en a été longtemps un acteur florissant. Avant de conspuer les jeux Olympiques, il a participé aux côtés d’Herzog & de Meuron à la conception du stade national Nid d’oiseau. En 2003, il a créé le studio d’architecture Fake Design (19 collaborateurs), a beaucoup entrepris et l’artiste s’est bien enrichi. Cette expansion a été facilitée par l’origine sociale d’Ai Weiwei : fils d’un célèbre poète, connu de tous les lycéens qui doivent l’étudier, persécuté pendant la révolution culturelle puis réhabilité et sanctifié aujourd’hui par le Parti.

Dans son travail, Ai Weiwei joue de la dérision, de la provocation, mais à la différence de la bande des quatre – Maurizio Cattelan, Damien Hirst, Jeff Koons, Takashi Murakami – est avant tout un homme de pouvoir doté d’un sens aigu de la dialectique. Il se bat dans son pays contre une corruption meurtrière, mais on lui reproche d’utiliser ce combat avant tout pour parader dans les media. En vivant douze ans à New York, il a compris la société occidentale et sait lui adresser les messages subversifs qu’elle peut facilement absorber. Ayant cru pouvoir accéder à un statut d’intouchable, il risque dorénavant celui de martyr et met au défi le visiteur du Jeu de Paume de parvenir à regarder… les photographies d’un artiste.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°362 du 3 février 2012, avec le titre suivant : La chronique de Emmanuel Fessy : Saint Weiwei

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque