Restauration

Colmar

Une restauration controversée

Les interventions sur le retable d'Issenheim peint par Grünewald, à l'initiative du Musée d'Unterlinden, créent la polémique

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2011 - 767 mots

La restauration du chef-d’œuvre peint par Matthias Grünewald pour le retable d’Issenheim, conservé au Musée d’Unterlinden, à Colmar, est très critiquée pour avoir été menée dans l’urgence, selon des procédés « musclés ». En attendant une nouvelle réunion du comité scientifique, les opérations ont été suspendues par le ministère de la Culture.

COLMAR - Entre 2002 et 2004, le Centre de restauration et de recherche des musées de France (C2RMF) a effectué une série d’examens sur les panneaux peints du retable d’Issenheim (1512-1516), chef-d’œuvre de Matthias Grünewald, conservés au Musée d’Unterlinden, à Colmar (Haut-Rhin). Aux termes de cette étude, le C2RMF conclut à un bon état de conservation et ne recommande pas de travaux de restauration. Seul le refixage de l’œuvre est entrepris en 2004. Pourtant, le 6 juillet, les visiteurs du Musée d’Unterlinden ont pu assister à d’impressionnantes manœuvres sur l’une des peintures de Grünewald, L’Agression de saint Antoine. Un solvant y a été appliqué par de grands gestes, et non centimètre carré par centimètre carré comme il est habituel de voir procéder pour ce type d’œuvre – la direction du musée expliquera par la suite qu’« il faut aller vite pour ne toucher que les couches superficielles et pas la couche picturale ». Le monde de l’art s’en émeut, la polémique enfle : fallait-il entreprendre la restauration du chef-d’œuvre ? Comment, en quelques années, est-on passé de la prudence à une décision interventionniste ?

Au printemps 2010, le musée s’était lancé dans de grands travaux d’agrandissement et de rénovation (lire le JdA n° 322, 2 avril 2010) et en avait profité pour annoncer la restauration du retable. Pantxika De Paepe, la conservatrice en chef du musée, expliquait que « la lisibilité de l’œuvre [était] masquée par les variations de brillance et les irrégularités de vernis ». L’opération visait ainsi à « amincir les vernis très irréguliers » et rendre l’œuvre « lisible ». Président de l’Association pour le respect et l’intégrité du patrimoine artistique, Michel Favre-Félix, qui a suivi le dossier de près, souligne la subjectivité d’une telle notion : « Nous retrouvons le seul argument habituel, extraordinairement vague : la lisibilité… alors qu’un tableau n’est pas fait pour se lire comme un texte. Où se fixe le degré de “lisibilité” que l’on souhaite atteindre ? Faut-il pouvoir compter au premier coup d’œil tous les monstres qui environnent saint Antoine comme l’explique la conservatrice ? En imposant une mode contemporaine de lisibilité immédiate, on annihile la perception d’ensemble graduelle, la découverte progressive voulue par les artistes du XVIe siècle. » 

Procédures insuffisantes
Outre cette question de fond, l’affaire met exergue d’autres problèmes récurrents rencontrés lors d’une opération de restauration. Tout d’abord, les impératifs du calendrier d’un musée : ici l’urgence d’une opération destinée à s’intégrer dans des travaux d’extension d’envergure alors que l’œuvre exige de la réflexion et des précautions. En cause également : les insuffisances d’une procédure dont le pouvoir de décision finale revient à la seule direction du musée. L’État exerce en effet un « contrôle » scientifique et technique qui se traduit par la réunion d’une commission régionale de restauration, avec des membres du C2RMF et de la direction des Musées de France, ainsi que l’avis d’un comité scientifique. Consultée au printemps sur le seul panneau de l’Agression de saint Antoine, la commission régionale a donné un avis favorable.

Le musée a ensuite consulté le comité scientifique, le 5 juillet, et les travaux de restauration ont démarré aussitôt. Or, d’après nos informations, le comité scientifique avait émis de profondes réserves quant aux méthodes employées, soulignant l’importance d’une analyse complémentaire et d’une réflexion élargie. En vain. « Un essai de 8 x 25 cm est validé, sans qu’on y prête beaucoup d’attention, pour valoir sur douze panneaux entiers (neuf scènes). La méthode l’est aussi, sur le moment du moins. Elle sera pourtant critiquée ensuite par le C2RMF, preuve qu’une attention insuffisante est portée aux procédés pratiques mis en œuvre », précise encore Michel Favre-Félix. Plus inquiétant encore, c’est au terme de cette première opération et non en amont, comme l’a précisé la direction, que le comité scientifique était censé se réunir pour dicter la marche à suivre sur les autres panneaux. Autrement dit, l’opération se déroule à l’aveugle. En outre, le financement, estimé à 341 000 euros (dont 100 000 euros apportés par la Fondation du patrimoine et 80 000 euros par la Région), n’est pas encore bouclé. 

Le ministère de la Culture a pris la décision de suspendre la restauration. Le comité scientifique doit se réunir d’ici à l’automne. Mais l’agression de saint Antoine semble bien avoir eu lieu et ce, de manière irrémédiable. 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : Une restauration controversée

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