Le Musée du judaïsme doit-il fermer le samedi ?

Par Nathalie Jérosme · Le Journal des Arts

Le 20 novembre 1998 - 661 mots

En gestation depuis dix-huit ans, le très attendu Musée d’art et d’histoire du judaïsme ouvrira ses portes le 6 décembre. Destiné à diffuser le patrimoine culturel juif vers un public très large – comme l’indique d’ailleurs la conception du parcours muséographique –, cet établissement au statut associatif sera fermé le samedi, jour du Shabbat : un geste symbolique qui semble curieusement en contradiction avec l’esprit d’ouverture de l’institution et la tradition laïque française.

PARIS - La fermeture hebdomadaire du samedi est annoncée avec discrétion sur tous les documents relatifs au Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Il faut dire que dans un pays où le principe de laïcité est très fort, cette décision de fermer l’établissement l’un des deux jours non ouvrables de la semaine ne manquera pas d’apparaître à certains comme un dangereux glissement vers une approche confessionnelle.

D’un point de vue pratique, l’incidence sur le nombre des entrées devrait rester modérée, la fréquentation du samedi étant bien inférieure à celle du dimanche. En revanche, il est plus difficile d’estimer l’impact sur l’image du musée, censé s’adresser à un très large public.

Laurence Sigal, conservatrice et principal artisan du projet muséographique, “espère que ce choix ne nuira pas à la lecture du musée”, dont le propos se veut au contraire une “distanciation” historique et culturelle envers les pièces exposées, qui sont le plus souvent de nature religieuse. De la France médiévale au monde contemporain, de l’émancipation des Juifs après la Révolution aux avant-gardes intellectuelles et artistiques du tournant du siècle, le parcours – très pensé – met en lumière les évolutions à travers l’espace et le temps des communautés juives, tout en soulignant les éléments constitutifs de leur identité. Personnellement opposée à la fermeture du samedi, la conservatrice reconnaît qu’elle constitue un “échec” face à cette interprétation historique.

Un statut complexe
La décision finale résulte d’un arbitrage délicat qui reflète le statut complexe de ce “musée très contrôlé, même s’il reste juridiquement associatif”, selon les mots de Claude-Gérard Marcus, président de l’association, ancien président du Musée d’art juif et conseiller RPR de Paris. Le budget d’aménagement et de fonctionnement de l’établissement est en effet financé par des fonds publics provenant à parts égales de la Mairie de Paris – à l’origine de la réalisation du projet – et du ministère de la Culture, représentés chacun par cinq délégués au conseil d’administration. S’y ajoutent dix représentants des principales associations juives : le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), l’Alliance israélite universelle, le Consistoire central, le Consistoire de Paris, la Fondation du judaïsme français, le Fonds social juif unifié et l’ancien Musée d’art juif.

Le conseil d’administration a tranché en s’appuyant sur l’un des statuts fondateurs selon lequel, “dans la mesure du possible, le musée respectera les traditions juives”. “Nous ne traitons pas de l’agriculture tropicale, souligne Claude-Gérard Marcus, mais d’une culture toujours vivante dont les fondements sont religieux. D’ailleurs, la plupart des musées juifs dans le monde respectent le Shabbat et les jours de fêtes.” C’est le cas de tous les établissements du territoire américain, du Zidovské Museum à Prague, du Jüdisches Museum de Vienne ou d’un musée à Berlin.

“Ouvrir aurait été l’exception, note Laurence Sigal, et n’aurait pas manqué de choquer une partie de la communauté juive.” Et notamment certains donateurs qui ont activement participé à la constitution des collections, ces dernières années. “Tous appartiennent aux communautés juives, ce n’est pas la peine de les blesser”, explique Claude-Gérard Marcus. D’autre part, “ouvrir le samedi aurait posé des problèmes d’organisation vis-à-vis du personnel. Il aurait fallu opérer une sorte de ségrégation entre ceux qui travaillent ce jour-là et ceux qui refusent”.

Restait la solution médiane de la gratuité du samedi, qui aurait pu réconcilier les impératifs religieux des uns et les conceptions laïques des autres pour le plus grand profit de l’ensemble des visiteurs.

Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 71 rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 53 01 86 53, tlj sauf samedi 11h-18h, dimanche 10h-18h.

Nous reviendrons sur les collections du Musée d’art et d’histoire du judaïsme au cours de notre dossier sur “Les musées de mémoire�?, dans le prochain numéro.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°71 du 20 novembre 1998, avec le titre suivant : Le Musée du judaïsme doit-il fermer le samedi ?

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