Galeriste : un métier devenu complexe et pluridisciplinaire

\"La galerie reste un outil sans équivalent en termes d’image et de reconnaissance\"

Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2000 - 1768 mots

Si la crise du marché de l’art a renforcé la détermination des marchands qui ont pu y faire face, elle a surtout modifié les méthodes de travail. Comment ce métier a-t-il évolué ? À quels enjeux les galeristes sont-ils confrontés aujourd’hui ? À l’occasion de la Fiac, le JdA lève en partie le voile sur cette profession fortement médiatisée mais toujours indiscernable.

En quelques années, la profession de galeriste s’est définitivement débarrassée de l’image d’amateurisme qui lui collait à la peau. Ce passionné d’art contemporain que l’on imaginait immobile derrière son bureau et attendant désespérément un hypothétique visiteur appartient désormais à une époque révolue. Son enthousiasme et sa curiosité pour l’art actuel paraissent intacts, mais ses domaines d’intervention se sont largement étendus entraînant une modification de son statut. “Notre rôle ne se limite plus à la simple promotion des artistes, et à l’exposition de leurs œuvres. La nature de l’objet artistique a changé, la vidéo et les installations par exemple engendrent des coûts importants. Le poids croissant de la production nous oblige à trouver des partenaires”, confie Mathias Arndt, directeur de la galerie Arndt & Partner à Berlin. Les coproductions se multiplient donc, engageant selon les cas, des institutions, des entreprises ou des collectionneurs privés. “Les galeries ont abandonné leur fonctionnement artisanal pour adopter un mode d’organisation à l’américaine. De la même façon que le cinéma, l’art s’industrialise”, ajoute Yvon Lambert. Revers de la médaille : cette industrialisation s’accompagne d’un accroissement immodéré de la charge administrative. Pour Michel Rein : “Ce métier se complexifie de plus en plus. Si l’on compare mon activité à celle d’une entreprise classique, je suis à la fois directeur administratif et financier, mais aussi responsable de la communication, et du marketing“. Même constat à l’étranger où Pierre Huber, directeur de la galerie Art et Public à Genève, nous dit avoir diminué l’espace consacré aux expositions au profit d’une surface administrative plus vaste, devenue le cœur stratégique de la structure. Signe des temps, le cumul des fonctions et l’ambiguïté des attributions n’épargnent pas la profession.

Mathias Arndt revendique d’ailleurs cette pluridisciplinarité : il exerce parallèlement à son métier de galeriste la fonction de conseiller artistique au sein d’une agence de médiation culturelle qu’il a lui-même créée afin de pallier les carences des institutions publiques berlinoises. Médiateur, producteur, découvreur et promoteur de talents, l’énumération serait incomplète si l’on omettait une des autres facettes du métier de galeriste, celle de commissaire d’exposition. “Les qualificatifs classiques sont inaptes à traduire la diversité de nos fonctions. Tous les rôles s’inversent et se superposent : les critiques d’art organisent des expositions dans des galeries privées, les artistes gèrent des lieux de diffusion, et les galeristes conçoivent des expositions pour des lieux institutionnels”, tient à préciser Jérôme de Noirmont. Le travail continue de s’élaborer au sein de la galerie mais il est de plus en plus destiné à rayonner à l’extérieur de ses murs lors de biennales ou de foires d’art contemporain. Les expositions se transforment ainsi en de véritables shows médiatiques.

Internationalisation et globalisation
Se déplacer d’un pays à l’autre est devenu pour tous les acteurs du marché de l’art une formalité, et la rapidité des moyens de communication a amplifié ces échanges. Le marché de l’art ne se cantonne plus à une zone géographique déterminée, il embrasse la planète. Cette internationalisation et cette globalisation contraignent les galeristes à imposer leurs artistes au-delà de leurs frontières avec encore plus de pugnacité qu’auparavant. Mais malgré l’intérêt accru que l’art suscite, les galeries ont encore du mal à imposer les artistes français sur un plan national et international. “Si les musées et les institutions publiques se désintéressent de la création française, il est logique que les étrangers ne lui accordent pas plus d’attention”, explique Patrick Bongers, directeur de la galerie Louis Carré & Cie. Difficile d’autre part d’être présent sur tous les fronts, ce qui amène les créateurs à collaborer avec un nombre croissant de galeries. La clause d’exclusivité, qui accompagnait la plupart des contrats moraux passés entre l’artiste et sa galerie, fait aujourd’hui pâle figure.

La tendance est au partage, que celui-ci soit imposé ou désiré. “Valérie Favre, une des artistes que je représente, est également soutenue par une galerie en Allemagne. J’ai peu de contacts dans ce pays, je suis donc très heureuse que quelqu’un se charge de faire connaître son travail outre-Rhin”, précise Nathalie Obadia. Pour Rodolphe Janssen, galeriste à Bruxelles, ces échanges de bons procédés sont une nécessité quant on exerce sa profession dans une ville moins attractive que Londres ou Paris. Des accords financiers sont donc généralement pris entre la “maison mère”, c’est-à-dire la galerie d’origine, et les galeries satellites. “Les galeries françaises ont longtemps été complexées. Lorsqu’un de leurs confrères étrangers désirait montrer un de leurs artistes, elles ne réclamaient aucun pourcentage sur les ventes déjà trop heureuses de voir s’ouvrir le marché international”, ajoute Anne de Villepoix.

Acquérir une stature internationale demeure l’objectif majeur de tous les professionnels, certains soulignent toutefois les effets pervers de cette internationalisation : “Seule une poignée d’artistes internationaux arrivent à tirer leur épingle du jeu. On les retrouve invariablement dans les maisons de vente à Londres, Paris, et New York. Il est dommage de voir les collections se banaliser”, indique Michel Rein. Voir s’étendre la puissance des maisons de vente et des grands groupes financiers renforce cette crainte, qui se teinte d’un certain fatalisme. “Il n’est plus temps de crier au loup ! Nous vivons dans une économie libérale, il faut dorénavant accepter la concurrence. Les maisons de vente sont une chance, elles redynamisent le marché”, reconnaît Enrico Navarra.

Un frémissement semble en effet avoir eu lieu puisque la majorité des galeristes français et étrangers s’accordent à reconnaître une nette embellie. Une nouvelle génération de collectionneurs plus avertis émerge. “La photographie, et la vidéo dans une moindre mesure suscitent un réel engouement. Cela correspond à une certaine culture de l’image dont ces collectionneurs se sentent proches. Espérons que la photographie ne sera pas victime de son succès et qu’elle échappera à la spéculation” commente Bernard Utudjian (galerie Polaris).

Des handicaps qui persistent
Malgré l’optimisme ambiant des professionnels, bon nombre de difficultés persistent, et ce marché de l’art qui se veut si ouvert conserve ses travers. Il est en effet toujours aussi problématique d’exercer le métier de galeriste en province. Si Hervé Bize, directeur de la galerie Art Attitude à Nancy a su développer un réseau de collectionneurs, il le doit notamment à une situation géographique favorable qui le place au carrefour des grandes métropoles culturelles que sont Bâle, Paris ou Bruxelles. Michel Rein, Didier Larnac (galerie Arlogos), Olivier Antoine (galerie Art : Concept) furent aussi parmi ceux qui tentèrent l’aventure. Ils finirent par rejoindre la capitale, car à Tours, à Nantes ou à Nice il est difficile pour une galerie d’art contemporain de subsister. Les quelques amateurs présents en région vont à Paris pour enrichir leurs collections. Irrésistible aimant, Paris attire et concentre l’activité artistique.

 Une fois le grand saut accompli, tous ces galeristes partagent le même constat : réussir son intégration sur la scène parisienne est un travail de longue haleine. Les galeristes étrangers n’échappent pas non plus à la règle comme le rappelle Caroline Smulders, directrice de la galerie Thaddaeus Ropac : “Lorsque Thaddaeus Ropac a souhaité ouvrir une deuxième galerie, [la maison mère se trouve à Salzbourg] tout le monde lui a déconseillé de s’installer à Paris. Son amour pour la capitale l’a convaincu du contraire, mais il nous a fallu sept ans pour nous imposer.”

L’apport du numérique
Si en France les outils numériques ont révolutionné la profession, c’est essentiellement dans le domaine des communications. Les échanges de mél. sont à présent monnaie courante entre les différents acteurs du marché de l’art. Quelques galeries possèdent des sites Web dans lesquels on peut trouver tous les renseignements pratiques : adresse et horaires de la galerie, artistes représentés, expositions en cours, mais c’est exclusivement le caractère informatif qui est alors mis en avant. La vente en ligne provoque pour le moment méfiance et scepticisme. “Nous exerçons un métier de contact que l’ordinateur ne pourra jamais remplacer. La galerie restera à mon avis un lieu de rencontre incontournable entre des œuvres et un public”, précise Michel Durand-Dessert.

La vente en ligne semble donc réservée aux produits dérivés, ou aux œuvres déjà extrêmement répertoriées. La photographie paraît d’autre part être le médium le plus approprié à ce type de transaction. “Un collectionneur qui connaît parfaitement l’œuvre de Cindy Sherman peut tout à fait s’en porter acquéreur sur Internet (sous réserve d’obtenir une garantie de son bon état de conservation) car ces photographies sont référencées”, ajoute Michel Rein. De plus en plus de jeunes collectionneurs curieux écument les sites dans l’espoir de trouver la perle rare. Courantes dans les pays anglo-saxons les transactions sur le Net demeurent épisodiques ailleurs.

Les professionnels se sentent peu concernés par cette clientèle à part, qui achète des œuvres d’un coût généralement inférieur à 10 000 francs. Conscients d’être en retard par rapport à leurs homologues étrangers, la plupart hésitent à investir du temps et de l’argent dans une aventure encore incertaine. Personne ne prédit la mort de la galerie au profit de l’émergence d’un espace virtuel. Selon Enrico Navarra, le système va paradoxalement s’inverser : “Les créateurs de sites de vente auront besoin d’une vitrine pour se distinguer les uns des autres. La galerie reste un outil sans équivalent en termes d’image et de reconnaissance.”

Une journée de galeriste...

9h : arrivée à la galerie Dépouiller le courrier, lire la dizaine de fax et de mél. arrivés pendant la nuit des États-Unis et d’ailleurs.
Envoyer aux journalistes par courrier ou par mél. des photographies de la prochaine exposition.
Rédiger les fiches de prêts pour les œuvres exposées prochainement dans un musée.
Téléphoner à son réseau de collectionneurs pour trouver le financement de la prochaine œuvre à produire.
Recevoir un des artistes de la galerie afin d’organiser la prochaine exposition
13h : pause déjeuner sur le pouce Aller visiter un atelier d’artiste
15h30 : retour à la galerie Réfléchir au concept de son stand pour la prochaine foire d’art contemporain. Appeler son imprimeur et se disputer avec lui parce que le carton d’invitation n’est pas conforme à ce qui était convenu initialement.
Improviser une rencontre avec un collectionneur étranger de passage à Paris ; annuler un rendez-vous moins important car celui-ci n’a qu’un seul créneau horaire à vous proposer.
19h : fermer la galerie Aller au vernissage de l’exposition du musée d’art moderne local dans laquelle un de vos artistes est présent.
Se rendre au dîner post-vernissage avec le staff du musée, les artistes, les journalistes et les collectionneurs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°113 du 20 octobre 2000, avec le titre suivant : Galeriste : un métier devenu complexe et pluridisciplinaire

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