Art et Design : les deux faces d’un même visage

Confronté à l’immatérialité, le collectionneur d’art se tourne vers des objets \"physiques\"

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2000 - 1112 mots

Ce ne sont plus des signes avant-coureurs, plus même une tendance, mais bien une réalité. Art et design n’ont jamais fait aussi bon ménage, comme vous le montrent les pages qui suivent. Cohabitation, croisements, passerelles, les rencontres et les chevauchements se multiplient. Musées, galeries, collectionneurs rivalisent de « transversalité », de métissage, de mélange des genres.

Jusqu’au 30 janvier 2001, le MoMA (Museum of Modern Art) de New York s’expose en majesté, sous le titre sibyllin de Open Ends. Pleins feux sur les collections de l’auguste institution. Mieux qu’un accrochage, un inventaire. Et là, en toute innocence et tout cousinage, Shiro Kuramata voisine avec Andy Warhol, Charles Eames avec Robert Motherwell, Ettore Sottsass Jr avec Claes Oldenburg… Il est vrai que le MoMA a toujours – tout comme le Victoria and Albert à Londres et tant d’autres musées à travers le monde – fait une large place au design, considéré lui aussi comme expression symptomatique de l’époque. L’absorption du CCI (Centre de Création industrielle) par le Mnam (Musée national d’art moderne), voici quelques années, ne faisait que régulariser une situation qui aurait dû exister dès l’ouverture du Centre Pompidou en 1977.

De plus en plus, l’art et le design se rencontrent, s’interpénètrent. Non pas tant à la manière de l’Atelier A, ni à celle de Meta Memphis, que d’une façon plus évidente, plus authentique. Le premier, au tout début des années soixante-dix, vit, sous la houlette de François Arnal, des artistes de la trempe de Roy Adzak, Mark Brusse ou encore Martial Raysse créer meubles et objets. Quant au second, il mit à l’épreuve du quotidien intérieur, à la fin des années quatre-vingt, d’autres artistes tels Joseph Kosuth, Mimmo Paladino, Michelangelo Pistoletto, Susana Solano ou encore Franz West. Car il ne s’agit plus de charger ces territoires d’un supplément d’âme grâce à l’intervention d’artistes “majeurs”, mais bien de leur reconnaître, de leur accorder un statut quasi égalitaire.

Musées, institutions, galeries s’y emploient de plus en plus. Avec comme point de départ évident, la crise du marché de l’art en 1993. Comme si publics et collectionneurs avaient un besoin impérieux de se rassurer, de “toucher du tangible”.

Quoi qu’il en soit, la Fondation Cartier en exposant Ron Arad en 1994, Marc Newson en 1995 et les Radi Designers en 1999 ou encore le Musée d’art moderne de la Ville de Paris en faisant cohabiter artistes, architectes, designers, graphistes et musiciens au sein de l’exposition ZAC à l’automne 1999, confirment cet état des choses. Les galeries exclusivement consacrées au design ont bien l’air de galeries, depuis le pionnier Néotu jusqu’au plus récent Kreo, en passant par Glassbox. Les galeries d’art multiplient, elles, les incursions : Perrotin expose successivement Vincent Baurin et les Radi Designers, Chez Valentin présente Nestor Perkal puis Pierre Charpin, Peyroulet succombe à Matali Crasset, Alain Gutharc redécouve Pierre Paulin, jusqu’à Purple qui inaugura sa rentrée 1999 avec Martin Szekely.

À Lisbonne, Francisco Capelo transmue sa collection personnelle forte de plus de mille pièces en un somptueux musée du Design installé au Centre culturel de Belem ; à Paris, la BPI (Bibliothèque publique d’Information) du Centre Pompidou confie la conception de son nouveau mobilier à l’architecte Jean-François Bodin (que Tecno s’empresse d’ailleurs d’éditer) et à Londres, la Tate Modern s’adresse elle au designer Jasper Morrison… Bref, les barrières tombent et l’on discute d’égal à égal.

Simultanément les jeunes artistes s’intéressent à l’objet, tandis que les designers s’amusent à concevoir des pièces uniques ou des séries limitées. En guise d’“expérimentation”, confie le designer Martin Szekely, qui ajoute : “Il est vrai que les artistes ont de plus en plus envie de s’impliquer dans le réel. Il est vrai également que les designers ont de plus en plus envie de s’impliquer dialectiquement dans la création.”

Une réelle interférence
Expérimentation pour Szekely, “manifeste” pour Laure Meyrieux qui exposait ses créations chez Public en décembre 1999 : “Même si ce que je crée a l’air de meubles, le design en soi ne m’intéresse pas. Exposer dans une galerie d’art, c’était tout à coup donner vie, mettre en action, mettre en réseau ces objets. Donner à d’autres –  musiciens, scénographes, danseurs, stylistes, vidéastes – la possibilité de les utiliser, de les détourner, de les transmuer.”

Non plus une simple confrontation, mais une réelle interférence. À tel point que la galerie de design Kreo présente actuellement, à partir d’un Dos à dos de Pierre Paulin, une exposition qui met explicitement en relation design et art contemporain.

Côté collectionneurs, naturellement, les choses suivent. À moins qu’elles n’aient tout simplement précédé. En tout cas, commentaires et analyses sont unanimes. Il y a bien ici, croisements, superposition de collectionneurs. Art moderne et arts décoratifs d’un côté, art contemporain et design de l’autre ? Certes, à l’évidence, mais les choses ne sont pas si simples et beaucoup plus liées qu’on imagine. “Il ne faudrait pas que l’art soit la locomotive du design, surtout pas que cela se limite à un phénomène de mode”, s’inquiète Constance Rubini, chargée de mission au département XXe siècle du Musée des arts décoratifs. À quoi renchérit Philippe Valentin qui distingue : “Il y a trois types de collectionneurs : les ‘art’ purs et durs ; les ‘design’ purs et durs ; ceux qui mélangent et dont on ne sait encore s’ils cèdent à l’époque et à la mode ou bien à la morale et à la passion.”

Et Pierre Staudenmeyer, le fondateur de Néotu, d’apprécier : “La passerelle qui se tend entre art et design est sans conteste une résultante de la virtualité. Les collectionneurs d’art sont de plus en plus confrontés à l’immatérialité. Ils se retournent instinctivement vers des objets plus ‘physiques’.”
Sont-ils les mêmes ces collectionneurs qui font actuellement les beaux jours de l’art, des arts déco et du design ? Pour Christophe Durand-Ruel, en charge du contemporain chez Christie’s, la cause semble entendue : “Aujourd’hui, tout se mélange, s’interpénètre. Il semble que frontières, barrières, hiérarchie perdent leurs marques. Les portes s’entrouvrent ici alors qu’elles sont déjà grandes ouvertes dans les pays anglo-saxons. L’intérêt actuel des collectionneurs d’art pour le design n’est en aucune façon le reflet d’un manque ou un constat d’échec, mais bien plutôt le signe d’un vrai et plein désir de contemporanéité.”

On en est si sûr chez Christie’s Paris que l’événement d’ouverture, en avril 2000, avenue Matignon, orchestré par Christophe Durand-Ruel, mêlait en toute allégresse et en toute légitimité, art, design et mode.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°113 du 20 octobre 2000, avec le titre suivant : Art et Design : les deux faces d’un même visage

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque