Pérou - Archéologie

Duccio Bonavia : « Le syndrome de Sipán »

Duccio Bonavia dresse un état des lieux de l’archéologie au Pérou

Par Antonio Aimi · Le Journal des Arts

Le 14 septembre 2001 - 979 mots

La présence de plusieurs missions internationales au Pérou a récemment permis de nombreuses découvertes archéologiques dans ce pays. Parallèlement à cette activité officielle, les fouilles et le marché clandestins prospèrent tandis que les professionnels péruviens se font de plus en plus rares. Le chercheur et archéologue italo-péruvien, Duccio Bonavia, dresse un état des lieux.

LIMA - Au moment où se déroulait l’exposition “L’or de Sipán” à la Kunst und Ausstellunghalle de Bonn (lire le JdA n° 119, 19 janvier 2001), la presse internationale annonçait une série de découvertes archéologiques au Pérou dont certaines de grand intérêt, telles les tombes de Dos Cabezas : un tunnel reliant l’église de Santo Domingo (un ancien temple Inca) et la forteresse de Sacsahuaman, la plus ancienne ville des Amériques (Caral). Connu pour ses travaux sur les peintures murales préhispaniques, Duccio Bonavia donne son point de vue sur la situation de l’archéologie au Pérou.

Que pensez-vous des découvertes archéologiques récentes ?
Jusqu’à maintenant, la presse a beaucoup parlé de Caral sans qu’aucune publication scientifique ne soit éditée. Vers 3000 avant J.-C., le long de la côte péruvienne du Pacifique, ont surgi des centres caractérisés par leur dynamisme culturel et par une certaine organisation des zones d’habitation et des lieux de culte. Il est probable, à en juger par les pièces trouvées, que Caral a vu le jour pendant cette période. À Lima, la dernière exposition sur ce site était intitulée “La ville sacrée de Caral”. Je suis sceptique car, dans le Pérou antique, les villes n’apparaissaient que pendant la période intermédiaire (200 av. J.-C. – 500 ap. J.-C.). On ne peut parler de villes que lorsqu’il y a aménagement urbain. Il faut également prendre en compte d’autres facteurs que Jorge Hardoy énonce en dix points dans Pre-Columbian Cities. Selon ses critères, Caral ne peut être considérée comme une ville ; la comparer aux centres de la Mésopotamie, de l’Égypte ou de la Chine est une erreur.

Les nombreuses fouilles en cours sont le fruit d’un regain d’intérêt des archéologues pour le Pérou. Est-ce la conséquence de découvertes extraordinaires comme Sipán ?
Effectivement, la découverte des trésors du “prêtre guerrier” continue à marquer les esprits : de nombreux archéologues sont désormais atteints par le “syndrome de Sipán”. Chercher des tombes, au Pérou, est devenu synonyme d’archéologie. Cette attitude influence également les institutions qui financent les recherches parce qu’elles aussi sont intéressées par l’audience et la publicité.

Une des conséquences du “boom” de Sipán serait la prolifération des pilleurs de tombes.
Au Pérou, les fouilles clandestines ont toujours existé mais jamais avec autant d’intensité. Et ce n’est que la première étape d’un grand réseau qui alimente le marché d’antiquités international. L’archéologie s’enseigne dans sept universités au Pérou, mais seules deux d’entre elles, l’Université nationale de Trujillo et l’Université catholique, préparent de bons archéologues. Mais, après leur formation, ils ne trouvent pas de travail et doivent se contenter d’emplois très mal payés. Ceux qui réussissent à se spécialiser à l’étranger ne reviennent plus au Pérou. Le problème principal est le manque de fonds pour la recherche. Actuellement, le seul grand projet bénéficiant de financements nationaux est la sépulture de la “Luna di Moche” où, pour la première fois, une étude scientifique est en cours. Malgré ce contexte, quelques archéologues péruviens, luttant contre mille difficultés, effectuent des recherches de haut niveau. À l’époque du Sentier lumineux, le groupe révolutionnaire terroriste, tout s’est bloqué. Les recherches ont repris et, désormais, beaucoup de missions étrangères, essentiellement américaines, japonaises et françaises, travaillent au Pérou.

Quelles sont les campagnes de fouilles les plus importantes au Pérou ?
Les projets les plus significatifs sont consacrés aux cultures Nasca (500 av. J.-C. – 500 ap. J.-C.) et Mochica (100 av. J.-C. – 700 ap. J.-C.). Les recherches à Huari, interrompues à cause du terrorisme, ont repris. Il est probable que ces travaux changeront notre vision de l’histoire préhispanique.

Avez-vous travaillé sur les peintures murales préhispaniques ?
C’est un sujet qui m’a passionné pendant des années alors que ces peintures, très fragiles car réalisées a tempera sur briques crues, n’intéressaient personne. Après la publication de mon deuxième livre, Mural Painting in Ancient Peru, il y a eu de nouvelles découvertes mais je ne sais pas si je me lancerais dans un troisième ouvrage.

Qu’en est-il du Machu Picchu ? Le site est-il toujours menacé par la construction d’un hôtel et d’un téléphérique (Lire le JdA n° 91, 22 octobre 1999) ?
Heureusement, grâce à la mobilisation de la presse et des archéologues péruviens et étrangers, le projet du téléphérique n’a pas avancé. En revanche, l’hôtel continue à s’agrandir dans l’indifférence générale. À l’automne 2000, une grue, placée au beau milieu du site pour faire la publicité d’une bière, est tombée sur “l’intihuatana” (un cadran solaire). Plus grave encore : aux alentours de Ayacucho, la construction d’un complexe résidentiel pour enseignants a entraîné la destruction du centre cérémoniel de Conchopata (VIIe-Xe siècles). Mais ces destructions ne représentent que la partie immergée de l’iceberg. Pas une semaine ne passe sans que l’on lise dans les journaux qu’un site a été endommagé. La grande tragédie du Pérou vient d’un manque de conscience de la valeur de son patrimoine archéologique. C’est un problème qui est indubitablement lié à l’absence d’une véritable identité nationale.

Incident de chantier

Au cours de l’été dernier, les archéologues péruviens ont appris, déconcertés, la destruction de certains fragments d’une fresque provenant du site de Dos Cabezas (200 avant J.-C. – 700 après J.-C.), qui avait récemment révélé des poteries exceptionnelles et trois squelettes. L’incident, dû à l’usage malencontreux d’une pelleteuse, a de nouveau attiré l’attention sur la mission américaine responsable des fouilles sur le site. L’Institut national de culture péruvien (INC) a aussitôt ordonné l’interruption du chantier. Le nouveau président, Alejandro Toledo, a, quant à lui, mis en exergue la revendication de l’identité préhispanique, lors du serment rituel au Machu Picchu, le 29 juillet dernier.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°132 du 14 septembre 2001, avec le titre suivant : Duccio Bonavia : « Le syndrome de Sipán »

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