San Francisco s’offre un écrin pour l’art asiatique

L’Asian Art Museum s’installe dans l’ancienne bibliothèque de la ville réaménagée par Gae Aulenti

Le Journal des Arts

Le 21 mars 2003 - 1072 mots

Longtemps installé dans des espaces inadaptés au sein du MH de Young Memorial Museum, l’Asian Art Museum de San Francisco devient aujourd’hui l’un des plus importants musées privés des États-Unis exclusivement dédié aux arts asiatiques. Dans l’ancienne bibliothèque de la ville, réaménagée par Gae Aulenti, les collections affichent une richesse et une diversité inégalées dans le domaine.

SAN FRANCISCO - Le 20 mars, l’Asian Art Museum de San Francisco devait inaugurer son nouvel et magnifique espace d’exposition. Avec un tiers d’habitants originaires d’Asie – soit le pourcentage le plus élevé du pays –, il semble naturel que San Francisco accueille l’un des plus prestigieux musées d’arts asiatiques privés au monde. Depuis sa fondation en 1966, l’Asian Art Museum occupait une aile inadaptée du MH de Young Memorial Museum, situé dans le Golden Gate Park. Fragilisé par le séisme de Loma Prieta en 1989, le bâtiment fut rasé en avril 2002 pour faire place à un nouvel édifice de 190 millions de dollars (172 388 euros), conçu par les architectes suisses Herzog & de Meuron et dont l’ouverture est prévue pour 2005.
L’Asian Art Museum a trouvé un nouvel écrin en venant s’installer dans l’ancienne bibliothèque municipale de la ville, dans le cadre du réaménagement post-tremblement de terre du quartier du Civic Center. Pour réorganiser le bâtiment, le conseil d’administration privé du musée, qui lève des fonds d’exploitation au bénéfice de l’institution, a fait appel à l’architecte milanaise Gae Aulenti. Rendue célèbre dans les années 1980 par ses travaux d’aménagement intérieur au Musée d’Orsay à Paris, au Palazzo Grassi à Venise et au Museu Nacional d’Art de Catalunya à Barcelone, l’architecte fut chargée de mener à bien la transformation de cette bibliothèque de style néoclassique, datant de 1917, pour un budget de 160 millions de dollars.
Travaillant en collaboration avec une équipe d’architectes et d’ingénieurs locaux, elle a métamorphosé la sombre bibliothèque en un espace clair et lumineux : ajout de lucarnes au-dessus des cours intérieures, percement de murs afin de dégager des perspectives sur les galeries, remplacement de la façade arrière par un mur rideau de verre, construction d’un escalator sous serre – dans l’esprit du Centre Pompidou à Paris – menant aux deux niveaux de la collection permanente. Le projet conserve les façades principales ainsi que les détails intérieurs, telles les frises en plâtre. Les 33 galeries, soit un espace d’exposition de près de 12 200 m2, laisseront voir quelque 2 400 œuvres, doublant ainsi la capacité de l’ancien musée. Avec un espace de 2 600 m2 réservés aux expositions, il ne sera plus nécessaire de décrocher la collection permanente à l’occasion des événements temporaires.
Le musée devient ainsi l’un des principaux lieux d’accueil de la Côte ouest des États-Unis pour les grandes expositions itinérantes d’art asiatique. Les responsables prévoient une fréquentation de 400 000 visiteurs la première année, soit plus du double du chiffre atteint par l’ancien musée dans le parc du Golden Gate. Aux deux niveaux supérieurs, la collection permanente est articulée par régions : l’Asie du Sud, l’Asie du Sud-Est, l’Himalaya et le monde bouddhique tibétain, la Chine, la Corée et enfin le Japon. L’organisation suit des fils conducteurs transculturels, une caractéristique qui “nous différencie de toutes les autres collections d’art asiatique du monde”, indique le coordinateur des projets spéciaux, Hal Fischer. Le premier thème de cette narration est le développement du bouddhisme qui, selon Emily Sano, directrice de l’institution, constitue “le seul véritable facteur culturel majeur ayant pénétré chaque région de l’Asie”. Vient ensuite celui du commerce et des échanges culturels, qui démontre comment la circulation des marchandises, des pèlerins et des armées contribuèrent à la diffusion des techniques et des idées artistiques. Le troisième thème aborde les croyances et les pratiques locales, passant en revue les adaptations régionales de phénomènes internationaux tels l’hindouisme et la fabrication de la porcelaine.
Par opposition aux peintures et aux calligraphies, les objets d’art constituent la principale richesse de la collection, forte de 14 000 pièces, dont plus de la moitié est issue d’un don fait à la ville par l’industriel de Chicago, Avery Brundage. Les 300 bronzes rituels chinois représentent probablement la plus belle collection en dehors de l’Asie, tout comme les œuvres coréennes, hautement considérées. Les collections comptent aussi le plus ancien bouddha chinois connu au monde, une statue en bronze doré datant de 338 av. J.-C. La section indienne dispose de la seule galerie consacrée à l’art sikh du monde occidental. Le département japonais possède une maison de thé réalisée à Kyoto, ainsi que plusieurs des 832 paniers de bambou japonais donnés par le californien Lloyd E. Cotsen, ancien dirigeant de la firme Neutrogena.
Le musée a également bénéficié de la récente acquisition des 167 œuvres sud-asiatiques, avec notamment des pièces thaïes de la fin XVIIIe -début du XIXe siècle, réunies par Doris Duke (1912-1993), l’unique héritière de l’American Tobacco Co., dont la fondation a récemment réparti la collection entre l’Asian Art Museum et le Walters Art Museum de Baltimore.
Le musée aspirant à “rendre l’Asie accessible” à tous, le conservateur en chef Forrest McGill précise que les cartels utilisent un langage facilement intelligible plutôt qu’un lexique savant, ainsi qu’une terminologie uniforme pour faire référence aux divinités rencontrées dans des cultures disparates. Le boddhisattva Maitreya sera par exemple identifié par ce nom sanskrit dans toutes les galeries d’art bouddhique, avec des traductions en chinois (Milou), en japonais (Miroku) et en thaï (Phra Si An), accompagnées d’identifications abrégées en caractères chinois, coréens et japonais. Sera également disponible gratuitement un audioguide en anglais, mandarin, cantonais et espagnol.
Dans une tradition typiquement américaine, de nombreux noms privés ou d’entreprises figureront sur les murs du nouveau bâtiment : le nom officiel du musée est d’ailleurs l’“Asian Art Museum/Chong-Moon Lee Center for Asian Art and Culture”, en l’honneur des 15 millions de dollars offerts par le magnat de Silicon Valley, d’origine sud-coréenne. L’entreprise d’électronique coréenne Samsung a donné 5 millions de dollars, et le financier Richard Blum et son épouse, le sénateur Dianne Feinstein – précédemment maire de la ville –, ont fait don d’un million de dollars pour les galeries de l’Himalaya. Ils ont également offert 5 millions de dollars pour un auditorium prévu lors de la seconde phase d’expansion du musée, qui devrait intervenir d’ici 2007 et à laquelle 40 à 60 millions de dollars seront consacrés.

ASIAN ART MUSEUM

200 Larkin Street, San Francisco, Californie, tél. 1 415 581 3500, tlj sauf lundi et jours fériés 10h-17h, le jeudi 10h-21h, www.asianart.org.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°167 du 21 mars 2003, avec le titre suivant : San Francisco s’offre un écrin pour l’art asiatique

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque