Entretien

Isabelle Pallot-Frossard, directrice du Laboratoire de recherche des Monuments historiques

« Valoriser le patrimoine scientifique et technique, longtemps négligé »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 10 septembre 2004 - 1322 mots

Pour leur 21e édition, les Journées européennes du patrimoine, organisées les 18 et 19 septembre, se consacrent cette année aux sciences et techniques. L’occasion pour le JdA de rencontrer Isabelle Pallot-Frossard, directrice du Laboratoire de recherche des Monuments historiques (LRMH), à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne). Après une présentation des principales activités du LRMH, celle-ci évoque les problèmes actuels de la recherche et cerne les enjeux de ces deux journées pendant lesquelles le public pourra découvrir des lieux habituellement confidentiels...

 Quelles sont les principales missions du LRMH ?
Nous avons trois grands types d’activités. Tout d’abord, une mission de recherche qui consiste à étudier les mécanismes d’altération des principaux matériaux du patrimoine – le bois, la pierre, le vitrail, la peinture murale, le textile, le béton –, puis à trouver les moyens de les restaurer et de les conserver. Notre deuxième grande activité porte sur la réalisation des études préalables à des travaux de restauration. Généralement, il s’agit de contribuer au diagnostic des états d’altération d’un bâtiment ou de déceler des problèmes très pointus. Enfin, après avoir réalisé une étude préalable, nous sommes souvent associés à l’encadrement scientifique du chantier, soit par des conseils aux restaurateurs et au maître d’œuvre, soit dans le cadre d’un comité scientifique. Cela est le cas actuellement pour les travaux de restauration de la galerie des Glaces à Versailles ou des peintures murales XVIe siècle du château d’Oiron (Deux-Sèvres).

Quels sont vos principaux collaborateurs ?
Nous travaillons avec les maîtres d’ouvrage (propriétaires ou conservateurs régionaux des Monuments historiques), les maîtres d’œuvre (les architectes en chef des Monuments historiques et, parfois, ceux des Bâtiments de France) et, enfin, les professionnels qui interviennent directement sur les œuvres (restaurateurs ou entreprises de restauration).

Sur quel grand chantier le LRMH a-t-il récemment travaillé ?
Depuis septembre 2001, la grotte de Lascaux nous a beaucoup occupés. Nous avons été pratiquement les premiers sur le terrain pour identifier et chercher la manière d’éradiquer le champignon qui s’était développé au sol et sur les banquettes. Ce type de situation est particulièrement difficile puisqu’il faut travailler avec quasiment cent pour cent d’humidité relative et une température de 12° en moyenne, soit les meilleures conditions pour que se développent les champignons. C’est comme si on installait La Joconde dans une cave humide ! Si nous avons réussi à trouver des méthodes pour traiter ce champignon, nous n’avons pas encore compris les causes précises de son développement. Tant que ce problème ne sera pas élucidé, nous ne serons pas à l’abri d’une reprise du phénomène… Nous travaillons également sur la plupart des grandes cathédrales, comme Senlis (Oise) qui a le plus beau portail polychrome de France, et surtout le mieux conservé. Nous sommes régulièrement interrogés sur les polychromies des portails gothiques. En général, il reste seulement quelques fragments des peintures et nous venons aider le restaurateur, par les coupes stratigraphiques et les analyses de pigments et de liants, à proposer une restitution virtuelle des couleurs.

Parvenez-vous à satisfaire la demande ?
Non ! Nous ne sommes pas assez nombreux. Le LRMH compte 35 personnes pour s’occuper des différents matériaux des monuments historiques : vitrail, bois, peinture murale, textile, grotte, microbiologie, métal, béton, pierre… En moyenne, cela correspond à deux personnes par matériau, et ce pour toute la France ! Nous essayons d’obtenir des postes supplémentaires, mais c’est très difficile car nous ne sommes pas en période d’expansion de la fonction publique… Nous subissons de plein fouet la crise de la recherche comme les grands laboratoires du CNRS ou de l’université. Nous essayons néanmoins de nous organiser en réseaux, notamment avec d’autres laboratoires pour monter des programmes communs. Il peut s’agir d’une thèse sur un sujet particulier comme « Les armatures métalliques dans le béton » ou d’une étude plus ponctuelle pour laquelle on se répartit la tâche.

Dans ce contexte difficile pour la recherche, quelle importance les Journées du patrimoine revêtent-elles ?
J’espère qu’elles permettront d’attirer l’attention sur les problèmes quotidiens, c’est-à-dire un manque crucial de postes ! Au LRMH, même si nous sommes beaucoup plus nombreux qu’au début – créé en 1970, le laboratoire ne comptait alors que trois ou quatre personnes –, nous traversons une réelle crise car le personnel n’a pas crû en proportion de la demande. Celle-ci est grande et, malheureusement, nous avons des délais très longs, notamment dans des domaines très sollicités comme la pierre. En fait, nous sommes toujours un peu sur le fil du rasoir…

Que souhaiteriez-vous faire découvrir au public les 18 et 19 septembre ?
Lors de ces Journées du patrimoine, les visiteurs pourront découvrir les multiples possibilités de la science au service du patrimoine – ce qui nous concerne directement – et la richesse des matériaux du patrimoine, la façon dont ils ont été conçus, quelles ont été les techniques anciennes, comment un maître verrier du XVIIIe siècle ou un peintre du XIIIe siècle ont élaboré leurs œuvres. Cela reste aujourd’hui trop méconnu. Enfin, il s’agit de valoriser le patrimoine scientifique et technique, patrimoine assez longtemps négligé, voire jeté au fur et à mesure que la science avançait.

La communauté scientifique a-t-elle conscience de son patrimoine ?
Je n’en suis pas complètement sûre… Je pense qu’il y a un mouvement de prise de conscience, mais il est relativement récent. Les très beaux outils du XVIIIe siècle ont évidemment toujours fait l’objet d’une grande attention, mais, en ce qui concerne les instruments plus contemporains, beaucoup ont été jetés dès lors qu’ils n’étaient plus utilisables… Aujourd’hui, heureusement, le regard sur les choses du passé évolue. Nous réalisons combien c’est intéressant pour l’histoire des sciences, mais, globalement, ce n’est pas un mouvement très spontané. De grandes institutions ont par ailleurs la charge de montrer l’intérêt de ce patrimoine, comme le Musée du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) ou le Palais de la découverte. La direction de l’Architecture et du Patrimoine classe de plus en plus d’instruments scientifiques. Et il y a une vraie demande du public…

On est loin de l’image d’Épinal du chercheur isolé dans son laboratoire...
Il y a en effet beaucoup d’efforts réalisés dans le sens de l’information et de la communication. Nombre de manifestations permettent de faire comprendre au public, de manière simple et ludique, des choses très compliquées. Ainsi des traditionnelles Journées de la science et aujourd’hui des Journées du patrimoine...

À ne pas manquer lors des Journées du patrimoine

Parcours à l’intérieur du laboratoire du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), à Paris, pour découvrir les méthodes appliquées aux peintures de chevalet, peintures préhistoriques, sculptures, objets archéologiques ou tapisseries. - Visite du laboratoire ARC-Nucléart, à Grenoble, qui a restauré des vestiges en provenance du Musée gallo-romain de Fourvière, à Lyon (lire page 11). - Visite du Laboratoire Arc’Antique, à Nantes, chargé de conserver et traiter des objets du patrimoine (céramique, métal et patrimoine sous-marin). - Visite de l’atelier et présentation des technologies utilisées pour l’examen des peintures du Centre régional de restauration à Caen (Basse-Normandie). - Présentation de techniques de restauration au Musée de l’Arles et de la Provence antique, à Arles, avec les équipes du laboratoire de Draguignan. - À la basilique de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), démonstration et animations effectuées par des artisans zingueurs et des tailleurs de pierre. - Au château d’Angers, découverte d’un nouvel espace contemporain mettant en valeur les vestiges archéologiques et présentation de techniques de restauration d’une grande tenture. - Visite du chantier de restauration de la façade du Monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse (Ain), chef-d’œuvre du gothique flamboyant classé monument historique. - À la Bibliothèque nationale de France, site de Tolbiac, à Paris, inauguration d’une exposition de photographies issues du fonds de l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de France ; 160 clichés ont été sélectionnés parmi plus de 3 millions de documents. - Retrouvez toutes les coordonnées et la liste complète des événements au 0820 561 561, sur le site du ministère de la Culture et de la Communication, www.journeesdupatrimoine.culture.fr, et dans les mairies ou offices de tourisme des sites participants.

LRMH, 29, rue de Paris, 77420 Champs-sur-Marne, tél. 01 60 37 77 99, ouvert au public les 18 et 19 septembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°198 du 10 septembre 2004, avec le titre suivant : Isabelle Pallot-Frossard, directrice du Laboratoire de recherche des Monuments historiques

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