Découverte

Une icône vendue à Avignon au cœur d’une polémique

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 23 septembre 2005 - 829 mots

Une « Vierge à l’Enfant » antérieure à 726 qui aurait échappé à la crise iconoclaste a été acquise en 2003 par un antiquaire londonien. Les autorités françaises dénoncent aujourd’hui son exportation illégale.

 LONDRES - Une très rare icône récemment découverte est au centre d’un important litige juridique. Réalisée en Égypte au VIe siècle, cette Vierge à l’Enfant avait été proposée en vente publique à Avignon il y a deux ans, sur une estimation de 6 000 euros. Les spécialistes estiment aujourd’hui qu’il s’agit de l’une des très rares œuvres à avoir survécu à la crise iconoclaste qui ébranla l’empire byzantin de 726 à 843. L’icône, dont la valeur réelle dépasserait les 200 000 euros, a quitté la France pour Londres en début d’année, mais, selon les autorités françaises, sans les autorisations nécessaires.
Le 29 juin 2003, lors d’une vente publique au Grenier à Sel à Avignon, Me Jacques Desamais présentait la Vierge à l’Enfant sous le no 48, avec la description suivante : « Toile peinte représentant dans un cadre l’enfant Jésus soutenu par la Vierge Marie en majesté. Lin, encaustique et pigments. […] Égypte, Art Copte, VIe siècle, 48 x 23 cm, est. 4 500-6 000 euros. » À l’évidence, l’importance et la rareté de cette étoffe noircie avaient échappé au commissaire-priseur, mais elle a retenu l’attention de nombreux spécialistes. La Vierge à l’Enfant a finalement été adjugée 85 000 euros à Richard Temple, marchand d’icônes londonien. Marie-Hélène Rutschowscaya, conservatrice en chef de la section copte au département des Antiquités égyptiennes au Musée du Louvre, était, elle aussi, intéressée mais elle ne pensait pas que l’œuvre dépasserait d’autant son estimation. Les ressources dont elle disposait ne lui ont ainsi pas permis de la préempter. Selon Marie-France Aubert, conservatrice en chef au département des Antiquités égyptiennes, section romaine, au Musée du Louvre, « la peinture était intéressante » mais pas à ce prix.

1,5 million d’euros
Richard Temple a organisé le transfert de l’icône en Grande-Bretagne, chargeant le transporteur André Chenue de s’occuper des formalités. Selon la loi française, les peintures – « tableaux et peintures faits entièrement à la main sur tout support et en toutes matières » – requièrent une autorisation d’exportation seulement si elles datent de plus de cinquante ans et valent plus de 150 000 euros, ce qui en l’occurrence n’était pas le cas. Arrivée à Londres en février, l’icône dut d’abord être restaurée. La peinture sur lin avait été grossièrement fixée à la colle animale sur un rectangle de carton recouvert de lin. Le restaurateur Laurence Morrocco retira ce montage moderne, consolida le tissu et nettoya la surface peinte, révélant une œuvre de qualité remarquablement bien conservée.
Richard Temple proposa alors l’icône au Musée du Louvre pour 1,5 million d’euros, prix qu’il estime raisonnable compte tenu de son ancienneté, de sa rareté et de son importance artistique. Très rares sont les icônes à avoir survécu à la période iconoclaste, qui a débuté en 726, lorsque l’Église byzantine condamna les images. On ne connaît qu’une vingtaine d’œuvres antérieures à cette date, dont sept Vierges à l’Enfant. Deux d’entre elles furent conservées au monastère de Sainte-Catherine dans le Sinaï (dont l’une est aujourd’hui à Kiev) et les cinq autres se trouvent dans des églises de Rome (voir les illustrations).

« Pièce archéologique »
La Vierge à l’enfant a été dévoilée le 15 juin dans la galerie londonienne de Richard Temple. Douze jours plus tard, la direction des Musées de France (DMF) écrivait au galeriste pour lui signifier que l’icône requérait une autorisation d’exportation puisqu’il s’agissait d’une « pièce archéologique ». Richard Temple conteste cette qualification en se référant aux textes de l’Unesco qui définissent les objets archéologiques comme « ayant plus de 100 ans d’âge provenant de fouilles découvertes terrestres et sous-marines, de sites archéologiques et de collections archéologiques ». L’icône était certainement accrochée dans une église, et, même si elle était remisée dans un lieu obscur, il est très improbable qu’elle ait été enterrée. Le galeriste estime donc qu’elle doit être considérée comme un tableau ou une peinture, et ce malgré son ancienneté exceptionnelle.
Cet été, la Vierge à l’Enfant a été proposée au British Museum à Londres. Le conservateur Chris Entwistle a été tenté par son acquisition, malgré un prix intimidant d’environ un million de livres sterling (près de 1,5 million d’euros). Mais il a estimé que le musée ne pouvait pas lancer d’appel de fonds avant que le litige lié à l’autorisation d’exportation hors de France ait été résolu. Le Cleveland Museum of Art a également manifesté son intérêt. Finalement, l’œuvre a été acquise par un collectionneur privé qui en a consenti le prêt à long terme au British Museum, probablement pour une durée de cinq ans. Cependant, son statut légal reste en suspens tant que les autorités françaises n’auront pas tranché la question de l’autorisation d’exportation. « Si on nous prête l’icône, nous serons ravis de pouvoir l’exposer, une fois levées les difficultés juridiques », nous a confié le conservateur du British Museum.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°221 du 23 septembre 2005, avec le titre suivant : Une icône vendue à Avignon au cœur d’une polémique

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