Faux - Justice

Les faux meubles XVIIIe secouent le marché

L’antiquaire Bill Pallot a avoué lors de sa garde à vue, avoir fait fabriquer « par jeu » une paire de sièges XVIIIe. Cette révélation plonge le marché parisien dans la tourmente.

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 21 juin 2016 - 783 mots

NANTERRE

Lupu, Aaron, Kraemer, trois des plus grandes galeries parisiennes, ainsi que le château de Versailles, sont emportés dans la tourmente d’une vaste enquête portant sur des contrefaçons de mobilier. Qui suivra ?

Nanterre - Déjà bien affaibli par les changements de goûts et la disparition d’une génération de brillants antiquaires, le marché du mobilier XVIIIe vit désormais sous le choc des enquêtes judiciaires. Les investigations lancées depuis près de deux années par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels ont culminé avec le placement en détention à Osny (Val d’Oise), ordonnée par une juge de Pontoise, de Bill Pallot, pilier de la galerie Aaron. L’information, livrée par Le Journal des Arts, révélant qu’il s’était livré à des aveux parcellaires, a bouleversé le monde des marchands et des conservateurs. Il a notamment avoué avoir fait fabriquer, « par jeu » dit-il, une paire de chaises imitées de celles de Marie Antoinette au Belvédère. Après avoir été proposée au château de Versailles, la paire a été vendue par la galerie Kraemer à un collectionneur londonien. L’année dernière, apprenant les rumeurs courant sur son compte, la galerie a repris les deux chaises et remboursé son client.

Mis en examen, lui aussi, l’antiquaire Laurent Kraemer affirme « ne s’être jamais douté » de ces contrefaçons et se dit « indigné de voir le nom de sa famille ravalée au rang de celui d’un faussaire ». Très proche ami de Bill Pallot, l’expert Guillaume Dillée, qui a plus d’une fois servi d’intermédiaire entre lui et la galerie Kraemer, est revenu de Melbourne en Australie, où il s’est installé avec sa famille, pour être entendu. Il a été également mis en examen. Hervé Aaron devait à son tour revenir de New York pour les mêmes raisons.

À l’heure où nous mettions sous presse, la galerie Kraemer décidait de ne pas participer à la prochaine Biennale des antiquaires et la participation de la Galerie Aaron semblait singulièrement compromise par l’intransigeance du SNA. Laurent Kraemer a préféré se mettre en réserve du Syndicat national des antiquaires (SNA). Ce scandale tombe fort mal au moment où le SNA voudrait annualiser la Biennale, avivant la concurrence avec la foire de Maastricht. Mais son président, Dominique Chevalier, se dit déterminé à faire preuve de fermeté, même s’il est bien obligé de reconnaître la présomption d’innocence. Avec la Compagnie nationale des experts, son syndicat s’est porté partie civile dans la procédure.

Déconfit, le Gouvernement (qui n’a jamais voulu s’attaquer au statut ambigu des experts marchands) a lancé une inspection administrative sur 2,7 millions d’euros d’achats de mobilier pour le château de Versailles, dans lesquels auraient pu se glisser des faux. Comme le fait remarquer l’ancien président du château, Jean-Jacques Aillagon, soulignant les procédures mises en place par l’État, « s’il y a eu erreur, elle est collective ».

Une contrefaçon de vaste ampleur
Les aveux de Bill Pallot ont stupéfié les conservateurs et professionnels qui l’appréciaient, d’autant qu’il leur avait juré solennellement ne pas être impliqué dans l’histoire des faux sièges dénoncés par des rumeurs, plus ou moins intéressées, qui couraient depuis des mois. Tout en minimisant sa participation à quelques cas, il a reconnu que le marché du mobilier était infesté par une contrefaçon de vaste ampleur, dont il a rejeté la responsabilité sur les ateliers d’artisans et d’autres marchands. Plusieurs des sièges suspects portent ainsi des étiquettes curieusement déchirées. Les deux chaises au cœur de l’enquête ont reçu une fausse marque au fer du garde-meuble de la reine, qui a manifestement servi sur d’autres pièces.

L’essentiel des renseignements recueillis par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) provient ainsi des artisans employés dans les ateliers de menuiserie, de fonte et de dorure parisiens. Un doreur a du reste lui aussi été mis en examen. L’Office avait commencé par orienter ses recherches vers un autre grand antiquaire de la place, Jean Lupu. Depuis juin 2015, il a été placé par deux fois en garde à vue, dans une instruction parallèle suivie à Paris. Il n’a cependant pas été mis en examen, en attendant sa convocation par la juge. L’attention de l’OCBC avait été attirée par une série de conversions miraculeuses de bureaux ou d’armoires de style, achetés pour rien, et revendus comme des meubles précieux de l’Ancien Régime après transformation. Selon nos informations, les enquêteurs ont alors commencé à obtenir des informations d’artisans, qui ont mis au jour le goût parfois immodéré des grands antiquaires pour enrichir leurs meubles.

D’autres professionnels s’attendent à être mis en cause dans cette chaîne qui semble n’en pas finir et devrait logiquement s’étendre aux faux en arts décoratifs du XXe siècle, dont Paris est devenue depuis des années la plaque tournante.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : Les faux meubles XVIIIe secouent le marché

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque