France

Les 10 dossiers chauds de la rentrée

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2015 - 2050 mots

Les gros titres des prochains mois devraient être consacrés aux divers projets de loi concernant la culture et à deux affaires judiciaires qui n’ont pas fini de faire parler d’elles.

1 Chaises musicales, le piège des copinages
C’est le casse-tête de septembre pour Fleur Pellerin : comment assurer la succession de la direction de la Villa Médicis et de l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba), sans (trop) donner l’impression d’un ballet des copains du pouvoir. À l’Ensba, les cartes ont été redistribuées avec l’annonce tonitruante de la candidature d’Éric de Chassey à l’Ensba, via Le Monde. Deux semaines plus tôt, afin de démentir la méchante rumeur d’une intervention de l’Élysée, dont l’intéressé serait le favori, la ministre assurait : « de Chassey n’ira pas à l’Ensba » ce qui en dit long sur sa maîtrise des événements. Le Gouvernement, sensible au parfum de scandale, a pressé le mouvement. Début août, un mois après l’appel d’offres, le jury avait déjà entrepris d’éliminer les candidats parmi la quinzaine qui s’est présentée, alors que le calendrier leur donnait jusqu’à fin août pour déposer leur projet pour l’école. Si au final, de Chassey est nommé, ce « jury indépendant » de personnalités passera pour le dindon de la farce. Le pire reste à venir à la Villa Médicis, où le Gouvernement a retenu sa décision. Manuel Valls a réaffirmé qu’il réclamait un « poste important » pour son amie Muriel Mayette, en dépit de sa sortie désastreuse de la Comédie française. Reste à savoir si la ministre ou François Hollande auront la capacité de résister.

2 Budget 2016 : surtout n’oublier personne
Une chose est sûre, le budget de la culture 2016 affichera une hausse. Le gouvernement Valls a bien compris combien la portée symbolique des baisses de 2013 et 2014 était contre-productive auprès du monde culturel en regard des faibles sommes en jeu. 1 % du budget de la culture (hors audiovisuel), ce n’est que 32 millions d’euros. D’autant qu’avec les gels de crédit et les retards d’engagements comptables, il est très facile d’annoncer une hausse du budget en sachant pertinemment qu’à l’arrivée les crédits consommés vont baisser. On peut donc s’attendre à une communication triomphale de Fleur Pellerin. Toute la difficulté pour la ministre sera de satisfaire tous ceux qui se font entendre le plus (le spectacle vivant, les crédits en région), tout en mettant en avant quelques projets phares qui frapperont l’opinion. Le projet de Villa Médicis à Clichy-Montfermeil sera de ceux-là car il réunit trois marqueurs de gauche : la rénovation urbaine, la création et la diversité culturelle, de quoi faire oublier que la paternité du projet revient à un ministre de Nicolas Sarkozy et qu’Aurélie Filippetti l’avait mis sous la pile à son arrivée en 2012.

3 L’épreuve du Parlement pour la loi création et patrimoine

Maintes fois annoncées par Aurélie Filippetti, les deux lois création et patrimoine ne font finalement plus qu’une, amputée de tout un volet sur la création et les archives. Présentée en Conseil des ministres le 8 juillet, elle va maintenant être passée au tamis par les députés et sénateurs. À l’Assemblée nationale, c’est le président de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation lui-même, Patrick Bloche qui sera le rapporteur de la loi. Si de nombreuses mesures ne devraient pas trop poser de problème à la ministre (création d’un médiateur de la musique, protection des ensembles patrimoniaux, prise en compte des biens appartenant au patrimoine de l’Unesco, protection des découvertes archéologiques…), la réorganisation du régime des espaces protégés va la mettre en face des parlementaires qui sont justement concernés au premier chef en tant qu’élus locaux par ces modifications importantes. Certains lui reprocheront un retrait de l’État en la matière, d’autres l’inverse. Fleur Pellerin, qui n’a aucune expérience du terrain local et qui dispose d’un faible poids politique au Gouvernement, va devoir se battre pied à pied.

4 Réforme territoriale : l’avenir des Fracs
Après l’adoption de la loi NOTRe et avec la perspective de la loi liberté de création, architecture et patrimoine (voir n° 3), l’avenir des Fonds régionaux d’art contemporain n’offre encore guère de visibilité. Si certains craignent un regroupement en raison de la diminution du nombre de régions (de 22 à 13), le projet de loi création n’offre aucune réponse. Son article 18, qui instaure pour la première fois un véritable statut à ces organisations, énonce uniquement que les modalités d’attribution du label par le ministre chargé de la culture seront précisées par décret pris en Conseil d’État. Le statu quo n’est donc pas à prescrire, mais la possibilité offerte d’une cession des collections à des structures similaires plaide néanmoins pour un regroupement potentiel.

5 La culture s’invite dans les élections régionales 2015
Jusqu’à présent la culture n’a jamais été un enjeu pour les élections régionales, qui elles-mêmes n’ont jamais vraiment passionné les Français sauf lorsque le scrutin est très politisé. D’ailleurs avec moins de 0,7 milliard d’euros (chiffres 2010), les Régions ne représentent que 9 % des dépenses culturelles des collectivités territoriales. Mais les choses pourraient changer avec le scrutin de décembre 2015 qui se déroulera dans le nouveau périmètre des régions. Valérie Pécresse, candidate à la région Île-de-France a ainsi annoncé dans une tribune publiée cet été, qu’elle voulait accroître de 20 % les crédits alloués à la culture. Mais d’un autre côté, l’augmentation attendue du nombre de conseillers régionaux Front national (FN), souvent réticents à financer la culture, risque de peser dans les votes budgétaires. Le FN est même en position de « prendre » la nouvelle région Nord-Pas-de-Calais/Picardie et d’y mettre Marine Le Pen à la présidence. Le Louvre-Lens (dont le budget de fonctionnement est financé à 80 % par la Région) et les réserves du Louvre à Lens (dont la construction doit être payée à 49 % par la Région) ont du souci à se faire. Dans la nouvelle vaste région Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine, le Centre Pompidou-Metz risque aussi d’entrer dans le débat. Le président de l’ex-région Lorraine avait ainsi réduit d’1 million sa dotation 2015. Dans les régions fusionnées, la répartition entre Direction régionale des affaires culturelles (Drac) principale et Drac secondaire, le schéma vers lequel on tend, devrait provoquer quelques tensions.

6 Projet de loi numérique : la liberté de panorama contestée
Une première version de travail du projet de loi numérique porté par Axelle Lemaire proposait la mise en place d’une nouvelle exception au droit d’auteur, connue sous la dénomination de « liberté de panorama ». Une telle exception permet la reproduction et la représentation d’œuvres situées dans un lieu public sans autorisation ni contrepartie financière au profit de l’artiste ou de ses ayants droit. Critiquée en son principe par certains, car elle pourrait constituer un nouveau socle de revendications, l’exception l’est désormais par d’autres dans sa rédaction actuelle au regard du nombre de limitations et de contraintes qui l’entourent. La version définitive du projet de loi devrait être dévoilée avant la fin de l’automne après avoir été déjà repoussée.

7 Loi Macron : les commissaires-priseurs judiciaires inquiets
Adoptée le 6 août 2015, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques modifie en profondeur la profession de commissaire priseur. De la limitation de l’âge d’exercice à l’extension de la compétence aux biens meubles incorporels, la réforme est d’ampleur. Cependant, si le principe de la liberté d’installation dans certaines zones a passé les fourches caudines du Conseil constitutionnel, les Sages ont invalidé les dispositions relatives à l’indemnisation due aux professionnels déjà en place. Le Gouvernement doit proposer d’ici la fin d’année un autre mode de calcul que le précédent, imposant aux nouveaux arrivants la charge de l’indemnisation. Quant à la future profession de commissaire de justice, regroupant de manière progressive commissaires-priseurs judiciaires et huissiers, le Gouvernement doit prendre par voie d’ordonnance les mesures nécessaires d’ici juin 2016. La consultation en amont des deux professions s’impose pour limiter les inquiétudes.

8 Aristophil : une collection à l’encan
La société Aristophil fondée par Gérard Lhéritier ayant été mise en liquidation cet été, il reste à trouver l’issue pour l’énorme fonds de manuscrits et documents qu’elle avait amassé en une douzaine d’années. Chaque investisseur devra trouver un moyen de récupérer une fraction de ses économies. Les associations ont prévu de se réunir en septembre pour étudier la situation avec les cabinets d’avocats. Certains voudraient se retourner vers les courtiers, d’autres vers les banques. Dans son jugement publié le 5 août, le tribunal du commerce explique n’avoir eu d’autre choix que la liquidation : « un redressement est manifestement impossible », la société n’ayant aucun moyen de « continuer son activité ». Tous ses comptes ont été saisis par la justice. Après le parquet, la juge d’instruction s’est opposée à la mainlevée de fonds qui auraient permis une continuation partielle. C’est un signe de sa détermination à assumer les poursuites contre Gérard Lhéritier et ses proches pour escroquerie en bande organisée.
Deux cas de figure se présente : ceux ayant acheté des manuscrits en pleine propriété pourraient les récupérer plus facilement, sous condition d’obtenir une mainlevée des scellés. Les participants à des fonds collectifs devront se réunir pour décider à qui confier la garde et la vente du bien en copropriété. Gérard Lhéritier et ses courtiers sont déjà sur les rangs pour essayer de reprendre une partie des affaires. La perte promet d’être importante. Une expertise sur une collection napoléonienne estime qu’elle vaudrait autour de 7 % de la valeur promise par Aristophil. À côté des trésors patrimoniaux, une grande masse de lettres et papiers n’aurait guère de valeur. Dans tous les cas, ces procédures sont soumises à un inventaire qui va prendre des années. Reste à savoir dans quelle mesure l’instruction exposera les personnalités et journalistes qui ont tiré profit du système.

9 La bombe à retardement Bouvier
Yves Bouvier a remporté une première manche dans le conflit qui l’oppose à Dmitry Rybolovlev. Le 21 août, la cour d’appel de Singapour, où l’homme d’affaires suisse a établi sa résidence, a annulé le gel de ses actifs ordonné en mars. Les magistrats ont estimé qu’il n’y avait pas de risque qu’il fasse disparaître ses biens. Yves Bouvier s’est félicité de cette victoire symbolique d’autant que la cour a repris sur 89 pages tous ses arguments sur le fond. Elle estime ainsi infondée la plainte pour escroquerie déposée à Monaco par Dmitry Rybolovlev, qui accuse le marchand suisse de lui avoir surfacturé une quarantaine d’œuvres. La cour assimile même l’ordonnance de saisie de mars à un abus de procédure, voulu par le milliardaire russe pour intimider son adversaire et lui « infliger des dommages commerciaux », ouvrant la voie à des dommages et intérêts. L’avocate de Rybolovlev, Tetiana Bersheda, a pris acte de la décision, mais note qu’elle n’efface pas l’instruction pour escroquerie ouverte à Monaco. Elle n’affecte pas non plus l’instruction ouverte à Paris pour vol et recel sur la plainte de la fille de Jacqueline Picasso, dont plusieurs œuvres ont été vendues à Rybolovlev par Bouvier. Celui-ci, qui dit n’avoir jamais songé qu’elles pouvaient provenir d’un vol, n’a toujours pas été entendu par la juge et la brigade de répression du banditisme, qui s’intéresse de près aux multiples activités qu’il a pu développer en France. Ce feuilleton ne fait que commencer.

10 Réforme du droit d’auteur : en attente de l’Europe
Le Parlement européen a voté le 9 juillet dernier le rapport d’évaluation de la directive sur le droit d’auteur du 22 mai 2001, en vue d’une prochaine réforme dont les contours devraient commencer à être connus d’ici la fin d’année. Fortement amendé au regard du texte rendu par l’eurodéputée du Parti pirate Julia Reda, le rapport a écarté la généralisation des exceptions au droit d’auteur sans rémunération pour les auteurs, l’alignement du droit d’auteur post-mortem à 50 ans (contre 70 ans en France) ou encore la mise en œuvre de l’exception de fair use (usage loyal) en vigueur aux États-Unis. L’un des enjeux majeurs de la réforme réside dans le maintien du principe de territorialité des droits, principe essentiel en matière de diffusion d’œuvres audiovisuelles pour l’acquisition pays par pays des droits. La France plaide, quant à elle, pour une révision combinée avec celle de la directive de 2000 sur le commerce électronique, afin d’adapter le droit d’auteur aux modifications engendrées depuis quinze ans par le très fort développement des nouvelles technologies.

Légende photo

Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication. © Photo : Nicolas Reitzaum.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : Les 10 dossiers chauds de la rentrée

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