Justice

La brigade de l’art fête ses 40 ans

40 ans de lutte contre le trafic d’art

L’OCBC, la « brigade de l’art », fête ses 40 ans. En dépit de nombreux succès, son action est limitée par des moyens inadéquats, au moment où les pillages reprennent de plus belle.

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 1659 mots

PARIS

L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) traque sans relâche voleurs, faussaires et autres trafiquants d’œuvres d’art et de biens patrimoniaux depuis 1975. En dépit de quelques succès notables (voleurs de châteaux, commissionnaires à Drouot…), la tâche n’est pas aisée pour cette brigade aux effectifs réduits, plombée par les lourdeurs administratives et le manque de réactivité de l’État.

Les malfaiteurs sont heureux. Ils ont trouvé un acheteur pour les Picasso dérobés chez sa petite-fille. Un homme élégant portant manteau sombre et chapeau les attend dans un bistrot du Trocadéro : Karl est là pour s’assurer de la qualité des toiles, au nom d’un acheteur qui préfère rester dans l’ombre… En fait, les enquêteurs de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) sont en planque. Ils voient deux hommes sortir des rouleaux de leur véhicule, avant de donner le « top » de l’interpellation. Il y a un moment d’inquiétude car l’homme au chapeau a disparu. Il sera retrouvé un peu plus tard : affolé, il s’est enfui à toutes jambes, sans prévenir.

Cet événement est l’un des beaux « coups d’achat » réussis par l’OCBC cette dernière décennie. L’Office commémore aujourd’hui ses quarante années d’existence. Son plus grand titre de gloire est d’avoir porté un coup fatal aux gangs de gitans qui écumaient les châteaux à travers la France, avant d’écouler leur butin via des réseaux implantés en Belgique et aux Pays-Bas. Les vols de biens culturels ont alors chuté de moitié de 2003 à 2005 (1). En 2003, 467 châteaux et villas avaient subi des vols d’objets d’art. Ils ne sont plus aujourd’hui qu’une trentaine à connaître le même sort dans l’année.

Seulement 15 enquêteurs
La vigilance malheureusement s’est réduite aussi : les effectifs de l’OCBC sont restés limités à une trentaine de personnes, dont une quinzaine d’enquêteurs. Et ce, alors que depuis 2009 l’Office se voit aussi chargé de la contrefaçon artistique, laquelle occupe un tiers de ses affaires. Il a saisi un entrepôt de faux bronzes grossiers venus de Chine et les dessins dérobés à Picasso dans les années 1970, tout en gérant l’énorme dossier des vols commis par les manutentionnaires de Drouot, dont l’instruction s’est enlisée. Parfois, comme pour le cambriolage de la galerie Fabius Frères ou l’extradition d’un trafiquant néerlandais qui ne sera pas renvoyé devant le tribunal à temps, l’inconséquence de certains magistrats fait obstacle à la procédure. Ou alors, le musée ou le ministère de la Culture omet de se porter partie civile. Longtemps, les détournements du Mobilier national n’ont pas été suivis de plaintes.

Trafic sans frontières
Comme dans toute la police nationale, le quotidien de l’OCBC est aujourd’hui tissé de formalités procédurales, de missions refusées, de véhicules de service ou même de rames de papier manquants. La collaboration avec d’autres services s’est améliorée, mais les jalousies et cachotteries n’ont pas disparu. La justice n’est pas censée remonter les informations, si bien que les enquêteurs ne savent pas si les voyous ont été mis en liberté, condamnés ou relaxés, et ce pour quels motifs. Depuis 2008, grâce à Christine Albanel, alors ministre de la Culture, les attentats contre les biens patrimoniaux sont punis plus sévèrement, mais ce n’est toujours pas le cas des
atteintes aux fonds privés : voler un Van Gogh n’est pas plus grave que dérober un vélo ou une voiture. La loi est particulièrement mal faite puisque le vol est prescrit trois ans après les faits, alors même qu’il peut passer inaperçu.

Le gouvernement ferait bien de jeter un œil sur les statistiques : tombé à 718 cas en 2012, le pillage d’œuvres d’art, dont la France reste l’une des principales victimes, a triplé depuis. Le patron de l’Office, le colonel Ludovic Ehrhart, associe « ce regain à la hausse des cambriolages ». Le vol a des spécificités cependant, qui suivent les fluctuations du marché. Le patrimoine liturgique est ainsi redevenu une cible. Chaque semaine qui passe, quatre églises en France voient disparaître un tableau ou une statue. Pas moins de 213 d’entre elles ont été attaquées en 2014, deux fois et demie le niveau de l’année précédente. Moins fréquentes, les atteintes aux galeries et boutiques d’antiquaires ont pourtant presque doublé.

Le visage du trafic aussi a changé. Aux traditionnelles bandes de « gens du voyage » s’est superposé un gangstérisme violent venu de pays comme la Roumanie ou la Serbie. Mais c’est un Britannique qui a été arrêté cet hiver, après avoir écumé les églises de Bretagne pour en vendre les ciboires en Angleterre. A été pris également un petit marchand du quartier Drouot, qui écoulait sur eBay des tableaux auxquels il ajoutait des signatures d’artiste.

Un des plus importants voleurs d’art en série, Stéphane Breitwieser, est un chômeur mulhousien. C’est l’un des ratés de l’OCBC, qui n’a jamais réussi à attraper le jeune maniaque – dont la mère a détruit les tableaux dérobés. Ceci avec l’affaire plus récente des fausses peintures de la famille Beltracchi (lire L’Œil no 680, juin 2015), dont les connexions en France n’ont jamais été élucidées.

Des moyens insuffisants
L’OCBC souffre aussi d’une administration incohérente, qui l’a éloigné du quartier des antiquaires pour l’installer en banlieue et l’oblige à une rotation rapide de ses responsables, oubliant le temps nécessaire à la maîtrise de la connaissance de la matière et du milieu, comme à l’établissement de relations de confiance avec les marchands et experts.

Les champs d’intérêt vont des faux jades aux monnaies gauloises déterrées à l’aide de détecteurs de métaux (l’OCBC vient ainsi de retrouver un trésor en Bourgogne). Bien que dépendant de la direction générale de la Police nationale, cet office central est dirigé par un gendarme. Mêlant policiers et gendarmes, il compte des correspondants dans les services régionaux des deux armées, ainsi qu’au service des Musées de France et au Conseil des ventes volontaires. Sa base de données « Treima » recense 93 000 articles, répertoriés dans 35 000 affaires. Depuis son installation, il y a une vingtaine d’années, elle a été dotée d’un logiciel de reconnaissance de similarités d’image. En revanche, en dépit des promesses régulièrement réitérées, faute de budget, elle n’est toujours pas disponible pour les antiquaires (2), ni même pour les autres services de police ou les douanes, sans parler des pays voisins. L’interconnexion avec la Culture ne fonctionne pas. Après avoir complètement négligé la coopération policière dans ce domaine, l’Union européenne prévoit, à partir de cet été, de développer son intégration dans la base d’Interpol, laquelle reste très parcellaire. La législation européenne a été renforcée, permettant de saisir les biens classés à travers le continent. À partir de la fin de l’année 2015, si une personne est retrouvée en possession d’un trésor national volé, il lui reviendra de prouver qu’elle en a bien vérifié la provenance. La France dispose aussi d’outils juridiques précieux comme l’obligation de tenue du « livre de police », le journal de bord des marchands, et la qualification du recel comme « délit continu » (3), auxquels échappent nombre de pays voisins qui servent de plaque tournante au trafic.

Un bilan flatteur
L’Office est le premier exemple d’une « brigade de l’art » spécialisée. Il est né d’une prise de conscience universelle de la nécessité de protéger le patrimoine, sous le nom d’« Office central pour la répression du vol d’œuvres et d’objets d’art », répondant au doux sigle d’« OCRVOOA ». En 1970, l’Unesco avait adopté sa convention contre le trafic. Paradoxalement, la France refusera de la signer avant 1995. Partagée entre son statut de victime et la pression du marché de l’art, elle n’a pas ratifié la convention d’Unidroit qui en renforce les dispositifs et les étend au domaine privé.

Depuis la disparition en 2009 de Bernard Darties, qui était la mémoire de la maison, les opérations de l’OCBC sont commandées par Corinne Chartrelle. L’OCBC est aussi le premier office central à avoir été dirigé par une femme, Mireille Ballestrazzi, promue depuis à une carrière brillante. En 1987, elle a récupéré au Japon quatre Corot revendus à des yakuzas. En 1990, Impression, soleil levant, de Monet, ainsi que huit autres tableaux impressionnistes, disparus du Musée Marmottan, sont saisis en Corse, alors qu’ils s’apprêtent eux aussi à prendre le chemin du Japon. En 1994, les enquêteurs mettent la main sur un réseau qui a diffusé par dizaines des œuvres de Chagall, dérobées par la gouvernante de sa veuve (entre-temps, la voleuse a été assassinée par son mari jaloux).

Au plus fort de l’époque des « gangs des châteaux », l’OCBC a récupéré pour l’équivalent d’un milliard d’euros d’œuvres en un an. Les enquêteurs ont arrêté des conservateurs indélicats, à la Bibliothèque nationale ou au Musée des beaux-arts de Nice, des marchands d’art du quartier Drouot ou des experts reconnus par la cour d’appel. Sur des salons, ils ont saisi un Nicolas Tournier collection du Musée des Augustins à Toulouse, des chenets de Fontainebleau ou encore un Frans Hals spolié par les nazis. Des cartes anciennes parties en Hongrie ont réintégré leur bibliothèque, un Degas est revenu de New York pour être rendu au Musée d’Orsay, une statue équestre de Louis XIV a été déterrée du Limbourg pour reprendre le chemin de Vaux-le-Vicomte. Des Vierges romanes et des fétiches africains ont été accueillis dans leur village, un crucifix en ivoire dans son église italienne. Ils ont récupéré des vases et le glaive de Jérôme Bonaparte, volés à Fontainebleau, dont le musée chinois vient encore d’être attaqué. Ils n’en ont jamais fini. Sur dix œuvres d’art volatilisées, neuf disparaissent à jamais.

Notes

(1) Ces chiffres portent sur les seuls biens précieux, indépendamment de la masse des objets de brocante.
(2) Ceux-ci peuvent cependant toujours consulter l’OCBC.
(3) Le délit court tant que le bien est détenu par une personne en connaissance de cause… En revanche, l’absurdité juridique veut qu’un voleur ne puisse être poursuivi pour recel : trois ans après son méfait, aucune poursuite n’est donc possible, même s’il est appréhendé en possession de l’objet.

Légende photo

Le baquet aux trois enfants, dérobé en septembre 2000 dans la cathédrale de Langres, dans les locaux de l'OCBC à Paris en 2006. © Photo : Gilles Blieck/DRAC Champagne-Ardenne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : 40 ans de lutte contre le trafic d’art

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