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Beltracchi, "le peintre le plus exposé dans les musées au monde"

Par Vincent Noce · L'ŒIL

Le 11 mai 2015 - 977 mots

Avec sa femme Helene, Wolfgang Beltracchi reste fier d’avoir peint de nombreux faux d’Ernst, Léger, Braque, Dufy… dont beaucoup sont encore exposés, sous le titre d’originaux, dans les musées. Son seul remord ? Avoir un jour utilisé du blanc de titane.

S'il se trouvait en train de faire du stop, on serait sans doute heureux d’accomplir un bout de chemin avec cet éternel jeune homme aux cheveux longs, qui passe son temps à raconter ses défonces en Allemagne avec les GI’s revenus du Vietnam. Wolfgang Beltracchi : c’est le même homme qui s’est retrouvé menotté, trempé sous la pluie, à Fribourg un soir d’août 2010 avec son épouse, Helene. Alerté par un conservateur indélicat, encerclé depuis des mois, le couple eut le temps de faire le ménage : avec la famille, évacuer des ordinateurs, virer des centaines de milliers d’euros, dissimuler des tableaux, refiler la Jaguar… Néanmoins, la police mit fin au road-movie de celui qui se dépeint comme « le plus grand faussaire de tous les temps ».

les Bonnie and clyde de l’art
Ce 8 mai, une galerie munichoise lui consacre une exposition sous le titre « Freiheit » (« Liberté »)… Ces pastiches de Gauguin et Ernst auraient été peints depuis sa sortie de prison. En 2011, à Cologne, au terme d’une parodie de procès, piétinant la longue enquête de la brigade criminelle de Berlin, les Beltracchi ont été condamnés à cinq et sept ans de détention. Otto Schulte-Kellinghaus, qui se faisait appeler « comte Otto » et servait de VRP à la bande, a écopé de six ans. La sœur d’Helene, Jeanette Spurzem, s’en est tirée avec deux ans avec sursis. En revanche, les galeristes et experts parisiens ainsi que les conservateurs impliqués dans le scandale ont échappé à ce tribunal. Censé durer des mois, le procès a été expédié, contre une confession parcellaire livrée par les accusés.
Aujourd’hui, Beltracchi se proclame « le peintre le plus exposé dans les musées au monde ». Ses faux Ernst, Braque, Friesz, Dufy ou Pechstein ont abouti au Met de New York, à la Fondation Maeght, aux musées de Lodève ou d’Ahlen, à la Tefaf de Maastricht, à la Biennale des antiquaires, à Drouot, chez Christie’s et Sotheby’s et, surtout, chez Lempertz, dans les collections de Steve Martin, Daniel Filipacchi et Jérôme Seydoux.

Le gamin, qui s’appelait Wolfgang Fischer, est né en 1951 en Westphalie d’un peintre en bâtiment. Délaissant l’école des beaux-arts, il prit la route des sixties. Harley-Davidson, Led Zeppelin, hasch et LSD, le beau gosse adopte cet air de hippie attardé qui ne le quittera plus : cheveux sur les épaules, désormais blanchissants, visage taillé à la mousquetaire, jeans et inévitable chemise californienne. En 1981, il ouvre une galerie à Düsseldorf, mais son associé finit par l’accuser de détournements. Il écoule des pastiches d’expressionnistes peu connus, tel Johannes Molzahn. La supercherie sera découverte, mais la prescription retiendra les poursuites. Ses contrefaçons d’Heinrich Campendonk trouvent leur voie dans le catalogue raisonné. Fischer gagne suffisamment d’argent pour s’offrir un yacht et une belle maison dans sa région natale. L’évolution vers une PME s’accélère avec la rencontre, en 1992, avec Helene Beltracchi. Le couple apprécie aujourd’hui de se faire appeler les « Bonnie and Clyde » du marché de l’art. Elle, cheveux tombant sur les reins et robes flottantes, a gardé l’apparence d’une petite fille qui refuse de grandir. Leur fusion amoureuse naît dans l’excitation de la délinquance. Ils se sont connus dans une salle de montage à Cologne, où Wolfgang veut réaliser un film sur l’histoire de la piraterie – cela ne s’invente pas. Wolfgang adopte le nom de sa compagne.

Une journée pour  un Rembrandt
Quand, en 1996, la police se fait pressante, ils disparaissent en Espagne à bord d’un camping-car de luxe, repeint en rose et turquoise, avant de se replier à Mèze, près de Sète, dans un mas qu’ils retapent à grands frais. De là ils remontent leur trafic en passant par des galeries parisiennes. Wolfgang s’attaque à de grands noms de la peinture. Les millions rentrent. Helene montre une grande habileté dans l’écriture du scénario. À chaque vente, ils ont ce coup de génie de réclamer eux-mêmes un certificat d’expert. Et ils en obtiennent, la plupart du temps… « Ces experts étaient sérieux, lance-t-il aujourd’hui, leur seul problème est que j’étais trop bon pour eux. » Lui se cache à Mèze, où il travaille peut-être avec un complice qui n’a jamais été identifié. Otto et Jeanette assurent la logistique. Mais c’est Helene qui accueille l’historien d’art Werner Spies, lequel entraîne le marchand Marc Blondeau.
Depuis son procès, Beltracchi n’a jamais affiché le moindre sentiment pour les vies qu’il a pu entacher autour de lui ou les artistes disparus qu’il a plagiés. Quand un présentateur lui demande s’il a le moindre remord, la réponse fuse : « Oui, celui d’avoir utilisé du blanc de titane » (découvert dans un tableau portant la date de 1914, alors qu’il fut inventé des années plus tard). Durant l’instruction, lui et son épouse refusèrent de desserrer les lèvres. Elle est une admiratrice béate de son compagnon qui se prend pour un génie, assurant qu’il « peut réaliser un Rembrandt dans la journée ». Il prend soin à entretenir le mythe d’un véritable créateur : au procès, il est sorti de ses gonds en assénant que « jamais, il n’avait copié une œuvre ». En réalité, il suffit de regarder dans le détail pour constater le contraire. À Mèze, a été saisi un attirail permettant de projeter les compositions pour les recopier sur la toile. « À quoi leur a servi leur fortune ?, interroge le journaliste Tobias Timm. À vivre dans les palaces, à construire une résidence à Fribourg au décor doré kitchissime… mais, en premier lieu, à se payer des opérations de chirurgie esthétique. » Chez les Beltracchi, à ce qu’il semble, tout est faux.

Stefan Koldehoff et Tobias Timm, L’Affaire Beltracchi, enquête sur l’un des plus grands scandales de faux tableaux du siècle et sur ceux qui en ont profité, éditions Jacqueline Chambon, 264 p., 24 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°680 du 1 juin 2015, avec le titre suivant : Beltracchi, "le peintre le plus exposé dans les musées au monde"

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