Art contemporain

In situ

Georges Rousse à (sa) Guise

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 2 juin 2015 - 704 mots

Attiré aujourd’hui par les sites patrimoniaux, l’artiste est intervenu dans les appartements du Familistère conservés dans l’état où l’ont laissé ses derniers occupants.

GUISE - Il y a deux très bonnes raisons d’aller à Guise (Aisne) : le Familistère et les œuvres que Georges Rousse a spécialement conçues en fonction de l’architecture de ce lieu fondé sur une incroyable utopie concrète.

Dès le début de sa carrière en 1982, Georges Rousse s’est imposé comme ligne de conduite de n’intervenir que dans des lieux désaffectés, voués à la démolition. C’est là, dans des architectures délabrées, qu’il réalisait ses anamorphoses éphémères : des œuvres savamment pensées pour le lieu, peintes in situ et précisément calculées pour évoquer une forme (souvent un cercle) ou une écriture, uniquement lisibles selon un point de vue déterminé, transformant alors en surface plane les reliefs et configurations des bâtiments. Par essence temporaires, il n’en restait comme trace que la photographie prise par l’artiste lui-même, partie intégrante et constitutive de l’œuvre.

Sites classés
S’il a toujours privilégié cette direction, l’artiste s’est ouvert il y a quelques années une autre voie d’investigation en se donnant la possibilité, lorsque l’opportunité se présente, d’intervenir également dans des sites classés, joyaux du patrimoine. Il a ainsi investi en 2012 trois espaces à l’intérieur du château de Chambord. Cette fois, c’est donc au Familistère de Guise que Rousse s’est glissé. Cet immense bâtiment tout en briques rouges (30 000 m2 de surface au sol !) a été imaginé en 1859 par Jean-Baptiste André Godin, un industriel utopiste et réformateur. Passionné par les théories de Charles Fourier et notamment celle de son Phalanstère, il décida de construire ce « Palais social » dans cette petite ville d’environ 5 000 âmes. Ce qui fut considéré comme « l’une des plus ambitieuses expérimentations sociales du monde industrialisé » abritait quelque 500 appartements habités par 2 000 personnes environ, les familles des travailleurs de l’usine, et proposait en outre économat, théâtre à l’italienne (aujourd’hui entièrement rénové), crèche, buanderie-piscine et plusieurs hectares de jardin. « Une utopie réalisée unique qui fonctionna jusqu’en 1968 sous le régime d’une association coopérative du capital et du travail », selon la définition donnée. En somme une utopie concrète ; un kibboutz picard non marxiste !

À chaque fois qu’il découvre un lieu, Rousse aime en connaître son histoire et s’en imprégner. Invité au Familistère par Frédéric Panni (directeur du lieu depuis 2000 et chargé de sa réhabilitation), l’artiste a tout de suite été passionné par l’ADN du bâtiment, et d’autant plus séduit qu’il lui permettait de conjuguer les deux pôles de sa démarche : d’une part, travailler dans des espaces non encore réaménagés ; d’autre part, composer avec d’autres volumes, patrimoniaux, dont on ne peut toucher les parties restaurées. À Guise, il a commencé par la première option, intervenant dans plusieurs appartements laissés dans leur jus, dont les murs ont conservé leurs papiers peints d’époque. Dans l’un, il a peint un triangle, dans un autre un cercle, dans un troisième un carré, tous noirs. Dans plusieurs autres, il a écrit le mot « UTOPIA » en jouant avec les motifs des linos au sol et ceux des papiers peints, tantôt laissés tels quels, tantôt blanchis légèrement pour ne pas les opacifier complètement et garder une trace presque transparente de leurs dessins ; il a aussi parfois collé ses propres images de paysages sur un mur. Télescopage de temps, de lieux, d’ambiance.
Ailleurs, c’est dans une cage d’escalier et sur sa rampe qu’il est allé dessiner un cercle blanc à la craie et un autre noir en peinture.

Enfin, pour le second aspect de son intervention, le plus spectaculaire, il a installé au sol du pavillon central la reconstitution à l’identique (échelle 1) du pavillon d’accueil des économats situé de l’autre côté de la rue. Une architecture dans l’architecture, qui peut être autonome et exister comme sculpture n’importe où ailleurs. Rousse l’a réalisée en latte de bois, ce qui donne autant de pleins que de vides et laisse apparaître l’espace à travers la structure, laquelle offre une double anamorphose. Splendide. En plus des œuvres in situ, l’exposition présente, dans de nouvelles salles récemment inaugurées, 49 photos dont une vingtaine réalisées sur d’autres sites et encore jamais montrées.

GEORGES ROUSSE, UTOPIA

Jusqu’au 20 septembre, Familistère, 02120 Guise, tél. 03 23 61 35 36, www.familistere.com, tlj 10h-18h, entrée 9 €, livre-catalogue 24,80 €. À voir également, « Georges Rousse 2007-2015 », jusqu’au 14 juin, Le Cellier, 4, rue de mars, 51100 Reims, www.reims.fr, tél. 03 26 77 75 15.

Légende photo
Georges Rousse, Guise, 2015. © Georges Rousse.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Georges Rousse à (sa) Guise

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