Ecologie

Voyage à l’ère anthropocène

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 28 octobre 2014 - 704 mots

Un anthropologue s’associe aux Abattoirs pour explorer du point de vue artistique, politique et scientifique cette nouvelle période de la planète marquée par l’action de l’homme.

TOULOUSE - De Messe de Terre, tableau matériologique de Jean Dubuffet achevé en 1960, aux projets périscientifiques de l’Argentin Tomás Saraceno, les Abattoirs réunissent un ensemble d’œuvres en trois volets complémentaires, touchant tant à l’art et aux enjeux de la contemporanéité, qu’aux artistes et savants.

L’axe de réflexion est partagé avec Bruno Latour, anthropologue et professeur à Sciences Po, que le travail de recherche, entre histoire des sciences, esthétique et sociologie conduit souvent à confronter grandes questions contemporaines et art. Avec l’active complicité d’Olivier Michelon, directeur des Abattoirs, Musée d’art moderne et d’art contemporain-Frac Midi-Pyrénées et de ses équipes, il prolonge un débat qui agite les sphères de la stratigraphie scientifique mondiale, pour valider au terme de l’échelle qui commence par le précambrien (il y a 4600 milliards d’années)  l’existence d’une nouvelle époque géologique (la nôtre) : l’anthropocène. Soit cette période inédite où l’activité de l’homme a transformé la réalité géologique de la planète, renversant l’évidence de la détermination naturelle du devenir planétaire.

À côté d’un colloque-performance mené par Bruno Latour et des chercheurs de divers domaines, les trois expositions rendent compte de gestes artistiques qui participent à notre imaginaire, tant poétique que scientifique. « Extraits et extractions » avec des pièces issues des collections enrichies de prêts donne dans les grandes salles des pièces au souffle souvent géologique, comme des grandes installations (Cildo Meireles ou Dove Allouche), pendant que « Symétrique exotique » avec des œuvres de la donation de Daniel Cordier et des perles rares (tel ce film du cinéaste surréaliste anglais Adrian Brunel de 1924) interroge les croyances et pratiques humaines face au monde.

Un monument, marqueur d’une époque
Au rez-de-chaussé, « Anthro-pocène monument » rassemble des pratiques très diverses autour d’une sollicitation du musée et de Bruno Latour, et propose, comme autant de projets, ce qui pourrait constituer aujourd’hui un repère pour identifier l’ère que nous traversons et que nous forgeons en même temps, à la manière dont les géologues signalent les découvertes de strates minérales de plaques, clous ou autres marqueurs. Quel monument donner à une période en cours, un monument presque plus prospectif que mémoriel ? La trentaine de projets réunis offre des pistes très diverses, dans leur langage propre : calcul de la masse des composantes géologiques du Spitzberg, île du grand Nord norvégien de Lara Almarcegui ; méditation sur le retour à la ruine du stade olympique de Berlin sous forme de dispositif filmique pour David Claerbout, pour un documentaire spéculatif inscrit dans une temporalité de centaines d’années ; collection d’objets et de fragment d’objets d’usage extraits de sa collection par Pascale-Marthine Tayou, liste de mots à installer sur site pour Robert Barry, documentaires sociologiques ou visualisation de données scientifiques… Fabien Giraud montre un fragment photographique fait sur le site de Fukushima et Jimmie Durham une image par le dessin de l’emboîtement-enfermement des univers que nous vivons. D’autres touchent plus directement à la forme monument : Iain Baxter avec un projet de labyrinthe entre des mots et des signes, qui formerait un square urbain ; Mark Dion imagine un totem stratigraphique, tel un carottage géologique que le bitume vient recouvrir ; Étienne Chabaud conçoit le monument comme réchauffement à une température de fièvre, au-delà des 37,5°C du corps. L’Australien Michael Mangan explore l’île micronésienne de Nauru, maintenant désertée, épuisée par la surexploitation minière et financière. Plus proches de l’activisme, mais non sans ressorts plastiques, Armin Linke et son groupe de recherche travaillent à la réunion et la diffusion d’informations sur les nouveaux rapports entre nature et culture. Alors que Tomás Saraceno, familier des dispositifs sculpturaux futuristes, voit se matérialiser l’idée de ce monument sous la forme d’un gigantesque ballon dirigeable solaire, le Museo Aero Solar, fait de sacs plastiques récupérés, comme un véhicule de conscience qui circulerait autour du monde, recueilli et relancé par toutes sortes de communautés humaines.

Outre l’actualité problématique des questions mises en jeu, l’inventivité des langages comme le croisement des pensées artistiques et scientifiques donnent à l’ensemble un caractère de nécessité et de force des voix mêlées, dans une complémentarité fragile mais marquante, de langages formels.

Anthropocène monument/Symétrique exotique/Extraits et extractions
Trois expositions jusqu’au 4 janvier 2015, Les Abattoirs-Frac Midi-Pyrénées, 76 allée Charles de Fitte 31300 Toulouse, mercredi-vendredi 10h-18h, samedi-dimanche 11h-19h , www.lesabattoirs.org.

Légende photo
Tomás Saraceno, Museo Aero Solar, 2014, installation aux Abattoirs, Toulouse. © Photo : S. Léonard.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Voyage à l’ère anthropocène

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