Art ancien

XIXE SIÈCLE

Tout était trop facile pour Horace Vernet

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 16 janvier 2024 - 867 mots

Extrêmement doué, le peintre de scènes militaires s’est adonné à tous les genres sans jamais trouver en lui les ressorts d’un grand peintre d’histoire.

Versailles. Bon fils, bon père, bon camarade, bon professeur, bon catholique, bon courtisan et surtout bon peintre, Horace Vernet (1789-1863) est un artiste qui, du temps de sa splendeur, a fait « grand bruit dans le monde », selon les mots de l’un de ses biographes, Charles Blanc. Ce dernier est souvent critique à son endroit. Dans la conclusion de la partie qu’il lui consacre dans le volume Une famille d’artistes. Les Trois Vernet (1898), il résume : « Horace peut dire […] : “ Inférieur à chacun de mes rivaux dans une partie, je les surpasse dans l’ensemble. ” Horace est un peintre, j’allais dire un fonctionnaire, qu’on ne remplacera pas. » Valérie Bajou, la commissaire de l’exposition au château de Versailles, ajoute dans le catalogue : « Il est vrai que Vernet s’amusa à brouiller les signaux en abordant tous les genres. »

À la tête d’un œuvre et d’une fortune considérables, Horace Vernet avait cessé de plaire dès l’Exposition universelle de 1855 où il était encore représenté par 21 peintures. À l’époque de Charles Blanc, il faisait figure de vieille baderne et, au XXe siècle, on aurait presque oublié jusqu’à son nom si les brocanteurs n’avaient disposé d’autant de gravures d’après ses tableaux et, surtout, si le château de Versailles n’avait conservé ses peintures monumentales.

« Il atteint tout de suite la couleur »

Aujourd’hui, Valérie Bajou se félicite d’avoir pu construire le parcours de son exposition autour des salles de la Smalah, de Constantine et du Maroc du Musée de l’histoire de France. Le public défile devant La Prise de la smalah d’Abd-el-Kader par le Duc d’Aumale à Taguin, le 16 mai 1843 (21,7 m de longueur et 4,89 m de hauteur) peint entre 1843 et 1845 à la demande du roi Louis-Philippe. Il a vu auparavant l’énorme triptyque illustrant le siège de Constantine au mois d’octobre 1837 (1838-1839) et, encore avant, La Prise de Tanger (1847, inachevé), tableau de la taille d’un mur montré pour la première fois. Et c’est là, devant le fort du cap Spartel éclairé par le soleil couchant, surplombant une toile couverte de sa préparation blanche, où quelques coups de crayon marquent seuls l’emplacement des personnages à venir, que l’amateur d’art est resté bouche bée. « C’est vraiment une technique étonnante, commente la commissaire. Il ne monte pas petit à petit son tableau par des jus, des ombres et des lumières, il atteint tout de suite la couleur. » Le secret de Vernet était dans cette incroyable facilité : il prenait sa brosse et faisait apparaître son motif comme un musicien de jazz improvise.

Vue de l'exposition avec la toile inachevée La prise de Tanger (1848). © Château de Versailles. D. Saulnier
Vue de l'exposition avec la toile inachevée La prise de Tanger (1848).
© Château de Versailles. D. Saulnier

Près de 200 œuvres jalonnent un parcours thématique qui commence par la présentation de la famille d’artistes dans laquelle il a acquis son art comme une langue maternelle, puis se concentre sur le romantisme, l’environnement politique, l’orientalisme ou encore l’art du portrait. De partout sont venus des tableaux souvent éblouissants. Le Portrait de Théodore Géricault (1820-1822), l’ami souffrant, déjà presque absent, annonce le dernier portrait de la fille d’Horace, Louise Delaroche (1845), datant probablement d’après sa mort. Ses contemporains en ont témoigné : l’artiste prenait des croquis de ses futurs motifs et peignait ensuite de mémoire. À côté des portraits brossés très vite, son attention se concentrant sur le visage, il pouvait en livrer d’autres où le costume était magnifié. Ainsi son ami Alexandre Ivanovitch Bariatinsky (1837) est-il enveloppé d’une houppelande matelassée bleu-gris qui met en valeur sa main fine posée sur son pantalon noir.

Une peinture minutieuse sans émotion

La maîtrise parfaite de la couleur et le brio dans les matières furent le talent et le talon d’Achille du peintre. Ce grand amateur de chevaux dont il savait à merveille rendre la vivacité, le lustre de la robe, la position parfaite des membres dans toutes les situations, a cédé plus d’une fois au charme de la figure sans s’inquiéter outre mesure de donner un sens à ses œuvres. Dans La Chasse au lion au Sahara (1836), Valérie Bajou regrette qu’il n’ait pas exprimé la sauvagerie de la situation. Il semble qu’il ne l’ait jamais ressentie, dans quelque circonstance que ce soit et même dans la guerre qu’il a pourtant largement représentée – « nulle passion et une mémoire d’almanach », a écrit Charles Baudelaire (Salon de 1846). Dans ce tableau de la Wallace Collection – grande prêteuse pour cette exposition –, le cheval gris du premier plan a les sabots bien graissés. Le burnous rouge de son cavalier, la selle arabe dorée et le tapis de selle galonné sont du plus bel effet.

Lorsqu’il exprime des émotions, Horace Vernet cède souvent au sentimentalisme. Ainsi dans les nombreuses scènes napoléoniennes décrivant la vie du soldat ou l’Épisode de la campagne de France. Combat entre des paysans français et des Cosaques (1826) qui montre une femme prête à défendre son mari blessé et son petit garçon. Avec son cynisme politique, ce manque d’implication personnelle, qui lui faisait préférer l’anecdote à l’histoire, est ce qui l’a le plus desservi vis-à-vis de la postérité. « L’art demande autre chose que cette exactitude qui est la vérité vue ; il demande la vérité pensée et sentie », écrivait Charles Blanc.

Horace Vernet,
jusqu’au 17 mars, château de Versailles, place d’Armes, 78000 Versailles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : Tout était trop facile pour Horace Vernet

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