Art moderne

XIXE SIÈCLE

Le Musée d’Orsay retrace les débuts de l’impressionnisme

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2024 - 846 mots

D’un abord pas toujours simple à comprendre, l’exposition célébrant les 150 ans de l’impressionnisme a cependant le mérite de bousculer les idées reçues.

Paris. Le terme « impressionniste », d’origine anglaise, est utilisé en France dès les années 1840, précise, dans le catalogue, Sylvie Patry, commissaire de l’exposition « Paris 1874. Inventer l’impressionnisme » avec Anne Robbins. Il est repris par Louis Leroy dans son article du 25 avril 1874, publié dans le journal satirique Le Charivari sur « l’exposition du boulevard des Capucines » se tenant du 15 avril au 15 mai dans l’ancien atelier du photographe Nadar. C’est la présence dans cette manifestation du tableau de Claude Monet, Impression, soleil levant (1872), qui le conduit à utiliser ce terme à propos de ces peintres qui montrent, pour certains, des « grattures de palette posées uniformément sur une toile salie ». Repris par le critique d’art Jules Castagnary, le 29 avril dans Le Siècle, le mot est utilisé au contraire dans un sens positif : « Ils sont impressionnistes en ce sens qu’ils rendent non le paysage mais la sensation produite par le paysage. »

L’impressionnisme est donc né en 1874 lors de cette exposition « à la fois mythique et méconnue », selon les deux commissaires. Comme beaucoup d’historiens de l’art contemporains, ces dernières déplorent que soit encore racontée au grand public une « histoire linéaire et moderniste des arts de la fin du XIXe siècle longtemps vue comme une succession de “ismes” ». S’appuyant sur le succinct catalogue publié en 1874 et sur d’autres sources, elles évoquent au Musée d’Orsay le corpus d’environ 200 œuvres présentées boulevard des Capucines, montrent en parallèle ce qu’était le Salon officiel – plus éclectique qu’on ne l’imagine souvent – et font ressortir les porosités entre ces manifestations en accrochant côte à côte des tableaux venant des deux. Enfin, elles ouvrent le propos sur la troisième exposition du groupe, en 1877, celle dans laquelle « pour la première et unique fois » ces artistes « se proclament impressionnistes ».

Imparfaite reconstitution de l’exposition d’origine

Le Musée d’Orsay, qui conserve la plus grande collection impressionniste du monde, possède moins de dix tableaux montrés en 1874. En réalité, il est difficile d’identifier les œuvres correspondant aux numéros du catalogue. Parmi les 47 peintures réunies pour évoquer l’exposition du boulevard des Capucines, certaines ont été faciles à trouver car elles ont été décrites à l’époque : c’est le cas d’Une moderne Olympia. Esquisse de Paul Cézanne (1873-1874, voir ill.) ; plusieurs sont désignées comme probables même si d’autres hypothèses sont envisagées, comme La Maison du Père Lacroix, Auvers-sur-Oise de Cézanne (1873), probable numéro 44 du catalogue, mais une autre hypothèse serait Quartier Four, Auvers-sur-Oise (vers 1873). Les dernières sont des substituts. Ainsi, Éruption du Vésuve de Giuseppe De Nittis (1872) remplace Lever de Lune qui portait le numéro 116. Ces ajustements sont acceptables dans la mesure où ils permettent de se faire une idée de cette exposition si peu documentée.

En revanche, outre que l’on comprend mal qu’Impression, soleil levant ne fasse son apparition que très tard dans le parcours actuel, le propos peut être parfois difficile à saisir. Par exemple, dans la section « Convergences », qui montre ensemble des œuvres du Salon et celles du boulevard des Capucines, sont réunis des tableaux d’Édouard Manet et d’Éva Gonzalès. Ces artistes avaient choisi de ne rien présenter chez Nadar. Le Chemin de fer de Manet (1873), qui a été exposé au Salon de 1874, trône sur un mur tandis que sur un autre est accroché Le Bal de l’Opéra (1873), refusé. Il en est de même pour La Matinée rose d’Éva Gonzalès (1874), accepté, et Une Loge aux Italiens (vers 1874), refusé « mais la peintre n’envisage pourtant pas de le montrer à l’exposition des impressionnistes », précise le cartel. Dans cette section sont aussi présentés des artistes « offrant une certaine vision du présent » (Baudelaire aurait pu les qualifier de « peintres de la vie moderne ») qui ont envoyé des œuvres dans les deux expositions. Le visiteur doit comprendre par lui-même qu’il n’y a pas eu un antagonisme absolu, comme on le dit généralement, entre celle du boulevard des Capucines et le Salon officiel, mais que les deux offraient une opportunité pour se faire connaître : chaque artiste du groupe des « indépendants » (Degas le nommait ainsi) a exposé ici ou/et là en fonction de sa propre stratégie et, évidemment, de l’aval du jury en ce qui concerne le Salon.

Réalité virtuelle et documentaire en complément

L’exposition d’Orsay, pour peu que le public lui accorde l’effort de compréhension qu’elle exige, bouscule les idées reçues. Elle montre des œuvres venues de loin dont il serait dommage de rater le passage en France. Cependant, les visiteurs qui ne sont pas spécialistes de l’histoire du mouvement ont tout à gagner à participer, dans une salle voisine, à l’expérience immersive « Un soir avec les impressionnistes » : elle aborde la formation du groupe dans les années 1860 – on y voit notamment l’âme qu’en a été Frédéric Bazille. Le documentaire d’Arte, 1874, la naissance de l’impressionnisme, apporte aussi un éclairage bienvenu. Les commissaires et les équipes du musée ont beaucoup participé à l’élaboration de ces deux outils de médiation.

Paris 1874. Inventer l’impressionnisme,
jusqu’au 14 juillet, Musée d’Orsay, esplanade Valéry-Giscard-d’Estaing, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°632 du 26 avril 2024, avec le titre suivant : Le Musée d’Orsay retrace les débuts de l’impressionnisme

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