Renaissance

BAROQUE

Le baroque romain dans tous ses états

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2020 - 762 mots

Réunissant un exceptionnel ensemble d’œuvres, le Rijkmuseum éclaire avec brio les grandes notions du baroque, malgré une scénographie défaillante.

Amsterdam. À lire le titre de la nouvelle exposition du Rijksmuseum, « Caravage-Bernin, le baroque à Rome » (temporairement fermé pour cause de crise sanitaire), on aurait pu s’attendre à une confrontation au sommet entre deux grands maîtres qui ont marqué les premières décennies du XVIIe siècle italien. Le parcours, s’il présente pas moins de onze sculptures de Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin (1598-1680) et sept toiles de Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Caravage (1571-1610), va bien au-delà, offrant un abécédaire riche et érudit du baroque romain, avec soixante-dix œuvres choisies parmi les plus intéressantes des artistes contemporains des deux hommes.

L’exposition, coproduite avec le Kunsthistorisches Museum de Vienne où elle a été présentée en 2019, a pour but d’« exposer la grammaire du langage baroque », explique Frits Scholten, commissaire de l’étape néerlandaise. Ce spécialiste de sculpture rêvait au départ de confronter la peinture de Nicolas Poussin et la sculpture de François Duquesnoy, qui partagèrent un logement à Rome dans les années 1620, un duo moins prestigieux (et moins vendeur) que celui figurant en tête d’affiche, mais très bien choisi pour comprendre l’intense émulation artistique qui règne alors dans la cité papale. Pour expliquer cette émergence du style baroque, les deux institutions ont bénéficié à la fois des riches collections viennoises et de nombreux prêts.

Un face-à-face virtuose

Caravage est mort en 1610, mais sa peinture a engendré un mouvement aux nombreux suiveurs. Le Bernin, qui appartient à la génération suivante, fait ses premiers pas à Rome, et sa virtuosité explose dès la fin des années 1610. À l’entrée de l’exposition, sa Méduse (v. 1638-1640, voir ill.), parée de sa chevelure reptilienne, laisse deviner des traits harmonieux derrière un masque de souffrance. En regard, le Narcisse du Caravage (v. 1600, voir ill.), contemple son reflet dans l’eau. Dans la section « Meraviglia & Stupore » (émerveillement &étonnement), ces œuvres illustrent avec le plus grand brio le désir des artistes de surprendre en sortant des codes iconographiques connus.

« Orrore & Terribilita » (horreur & terrible) est sans doute l’une des sections les plus frappantes du parcours. L’horreur se retrouve dans la prédilection des peintres à représenter des scènes de décapitation ; en témoignent les iconographies de Judith décapitant Holopherne et de David tenant la tête de Goliath, grands succès picturaux de la première moitié du XVIIe siècle. La toile Judith et sa servante d’Orazio Gentileschi (v. 1608) interpelle par l’instant choisi. Ici nulle femme triomphante : c’est l’instant d’après qui intéresse le peintre, le calme revenu après la tempête signifiée par quelques gouttes de sang. Même choix de l’après dans le David et Goliath de Valentin de Boulogne (v. 1615), où le jeune homme semble réaliser, fixant avec mélancolie le spectateur, la portée de son geste.

Grâce à sa fine connaissance de la sculpture baroque romaine, Frits Scholten est allé dénicher dans les collections européennes de belles surprises. Un monumental Cheval au trot du sculpteur Francesco Mochi, véritable découverte (1616), vient enrichir la section « Moto & Azione » (mouvement & action) dont la Sainte Véronique du même Mochi (v. 1630-1654) est le cœur. La statuette, représentant la sainte luttant contre le vent, fait penser à L’homme en mouvement d’Umberto Boccioni, près de trois cents ans plus tard. Autre redécouverte, une fragile et sensible terracotta du Bernin, modèle pour la Piazza Navona (1653), en collection privée, atteste de la virtuosité du maître.

Si la confrontation entre Duquesnoy et Poussin rêvée par le commissaire pourrait faire l’objet d’une exposition à part entière, Nicolas Poussin figure en bonne place dans le parcours à travers des œuvres de premier plan. La destruction du temple de Jérusalem (1638), venue de Vienne, trône magistralement près de sa Bacchanale devant une statue de Pan (v. 1632) dans une section consacrée à « La gran maniera greca ».

Scénographie décevante

Avec une telle sélection, il est fort dommage que la scénographie joue à ce point contre les œuvres. Confiée à l’agence Formafantasma spécialisée dans les expositions d’art contemporain, la scénographie enchaîne les impairs. Les bustes sont repoussés contre les murs, empêchant une vision panoramique : un buste de jeune homme de Mochi est ainsi inexplicablement placé à presque deux mètres de hauteur et de biais. Les cartels jouent à cache-cache avec le visiteur, placés arbitrairement à gauche, à droite, et parfois au revers des œuvres. Les choix chromatiques posent également problème, avec des cimaises recouvertes de tissus aux couleurs froides et pastel, peu adéquates pour accompagner les excès et les richesses baroques, et qui in fine altèrent un discours pourtant passionnant.

Caravaggio-Bernini, baroque à Rome,
initialement prévue jusqu’au 7 juin, Rijksmuseum, Museumstraat 1, 1070 Amsterdam.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°542 du 27 mars 2020, avec le titre suivant : Le baroque romain dans tous ses états

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