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PRÊTS INTERNATIONAUX

La Fondation Louis Vuitton fait sensation en Russie

Par Isabelle Manca · Le Journal des Arts

Le 13 août 2019 - 1078 mots

MOSCOU / RUSSIE

Une soixantaine d’œuvres phares de la collection de la Fondation sont exposées au Musée Pouchkine, une opération qui marque l’acte II de la collaboration entre les deux institutions inaugurée avec « La Collection Chtchoukine » en 2016-2017 à Paris.

Alberto Giacometti, Trois hommes qui marchent (grand plateau), 1948. © Photo Marc Domage/Fondation Louis Vuitton, Succession Alberto Giacometti.
Alberto Giacometti, Trois hommes qui marchent (grand plateau), 1948.
© Photo Marc Domage/Fondation Louis Vuitton, Succession Alberto Giacometti.

Moscou. Le 17 juin, c’était la foule des grands jours au Musée Pouchkine. Les officiels étaient de la partie – ministre de la Culture et vice-présidente russes en tête, ainsi qu’une flopée d’institutionnels et de célébrités, notamment des danseurs du Bolchoï et l’actrice Alicia Vikander. Une poignée de journalistes français, et de nombreux confrères locaux, avaient été conviés pour couvrir cette soirée VIP, ponctuée d’un dîner élaboré par le chef étoilé moscovite Vladimir Mukhin et des notes de piano d’Alexander Romanovsky, star montante du classique, soirée qui s’est achevée de manière inattendue par un concert privé de Duran Duran. Ce raout diplomatico-culturel était orchestré par Louis Vuitton pour lancer en grande pompe l’exposition réunissant une vaste sélection d’œuvres de la fondation parisienne. La manifestation constitue l’acte II de la collaboration entre l’établissement privé situé à l’orée du bois de Boulogne et les musées russes, après l’exposition triomphale de la Collection Chtchoukine à Paris en 2016 qui avait battu tous les records de fréquentation avec 1,2 million de visiteurs.

Une démonstration de force

Pour la manifestation « retour », la Fondation Louis Vuitton a sorti l’artillerie lourde en organisant sa plus importante exposition hors les murs depuis son ouverture, avec la présentation d’une soixantaine d’œuvres de vingt-deux artistes contemporains. Andy Warhol, Maurizio Cattelan ou encore Gerhard Richter ; toutes les vedettes de la collection de la Fondation ont fait le voyage. Certains artistes ont même été directement impliqués dans le projet comme Christian Boltanski qui a actualisé son œuvre Après (2010) en la traduisant pour l’occasion dans la langue de Tolstoï. « L’idée est de montrer des œuvres phares, représentatives de la collection ; des ensembles monographiques forts, résume Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation. Mais l’enjeu était aussi de présenter des pièces que le public russe n’avait jamais vues, notamment des œuvres de Basquiat et de Klein, deux artistes qui n’ont pas encore bénéficié de grandes expositions en Russie. »

Résultat de cette équation : une démonstration de force quant à l’ampleur de la collection française. Les œuvres se déploient en effet sur trois niveaux, colonisant littéralement le pavillon dévolu à la peinture moderne occidentale, pavillon où est d’ordinaire présentée la Collection Chtchoukine. Ce clin d’œil n’a pas échappé au petit-fils du mythique collectionneur russe, André-Marc Delocque-Fourcaud, qui a expliqué lors de l’inauguration de l’exposition qu’il considérait « Bernard Arnault comme une sorte de “Chtchoukine du XXIe siècle” ». Une sacrée consécration pour le collectionneur milliardaire…

Si la Fondation Louis Vuitton a pu prendre ses aises dans le pavillon, c’est parce que les œuvres qui y sont traditionnellement accrochées ont temporairement quitté leurs cimaises. Ces fleurons modernes ne sont toutefois pas allés bien loin puisqu’ils ont traversé la rue pour rejoindre le bâtiment historique du musée et intégrer une exposition temporaire qui revêt un caractère exceptionnel. Les deux moitiés séparées de la Collection Chtchoukine sont en effet réunies pour la première fois en Russie depuis leur partition entre le Musée Pouchkine et celui de l’Ermitage en 1948. Longtemps rivaux, les musées de Moscou et Saint-Pétersbourg n’étaient jamais parvenus à s’entendre pour organiser ces retrouvailles historiques. « Le retentissement international de l’exposition “Chtchoukine” à Paris et la perspective de la reconstitution de la collection Morozov à la Fondation Louis Vuitton en 2020 ont changé la donne et créé un déclic », analyse Jean-Paul Claverie, administrateur de la Fondation [lire l’encadré].

En effet, si l’Ermitage a accepté de se séparer de ses trésors le temps d’une exposition, c’est parce que le Musée Pouchkine a envoyé concomitamment à Saint-Pétersbourg ses chefs-d’œuvre de la collection Morozov. Une collection d’art moderne qui a connu un destin similaire à celle de Chtchoukine et qui est elle aussi répartie entre les deux musées. Un jeu de billard à trois bandes pour la Fondation donc, qui participe à trois événements majeurs en Russie ; asseyant ainsi un peu plus encore sa reconnaissance institutionnelle.

Poutine donne son feu vert au musée Chtchoukine

Musée. Le musée Chtchoukine pourrait ressusciter d’ici « trois ou quatre ans » sur son emplacement d’origine, a déclaré fin juin le ministre de la Culture russe, Vladimir Medinski. Il s’agit du palais Troubetskoï, situé dans le centre de Moscou, non loin du Musée des beaux-arts Pouchkine. Le bâtiment est occupé par le ministère de la Défense depuis la décision prise en 1948 par Staline à la suite d’une campagne contre le « cosmopolitisme » et l’« idôlatrie de l’Occident ». La Russie s’apprête ainsi à rendre justice à Sergueï Chtchoukine, mécène visionnaire de l’art moderne français. L’idée était dans l’air depuis des années. Elle s’est concrétisée le 20 juin, quand la directrice du Musée Pouchkine, Marina Lochak, a demandé en direct à la télévision à Vladimir Poutine de rendre le palais Troubetskoï à la légendaire collection. Laquelle est divisée entre le Musée Pouchkine à Moscou et l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, et fait l’objet d’âpres rivalités entre les deux institutions. La question était préparée pour souligner le rôle incontournable du président russe dans tous les arbitrages cruciaux. Le Musée Pouchkine effectue d’importants travaux dans son voisinage dans le but de créer un « quartier d’art » dans le but d’avaler le palais Troubetskoï. Il n’est pas exclu qu’à terme la collection Chtchoukine soit rejointe par celles d’autres illustres mécènes russes (dont Morozov) afin de ressusciter le fameux « Musée du nouvel art occidental ».

Emmanuel Grynzspan, correspondant à Moscou

Échange de bons procédés

Restauration. Comme c’est de plus en plus souvent le cas, les musées prêteurs ont demandé à l’emprunteur, en l’occurrence la Fondation Louis Vuitton de restaurer une partie importante des œuvres des collections Chtchoukine et Morozov. Une condition sine qua non car certaines pièces en attente de restauration fondamentale étaient tout simplement intransportables, à l’exemple de L’Atelier rose de Matisse. Pour la préparation de l’exposition Morozov qui se tiendra à Paris à l’automne 2020, et dont une première mouture est présentée cet été à Saint-Pétersbourg, la Fondation Louis Vuitton a franchi une étape supplémentaire en prenant également en charge la restitution du « Salon de musique ». Le mécène a reconstitué cet espace disparu et restauré les grandes peintures de Maurice Denis, commandées à l’artiste par Ivan Morozov. En contrepartie, le Musée de l’Ermitage enverra les œuvres à Paris en 2020, ce qui constituera leur ultime voyage car elles ne devraient plus jamais quitter le palais au bord de la Néva par la suite.

Isabelle Manca

La collection de la Fondation Louis Vuitton, un choix,
jusqu’au 29 septembre, Musée d’État des beaux-arts Pouchkine, Ulitsa Volkhonka, 12, Moscou.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : La Fondation Louis Vuitton fait sensation en Russie

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