Art contemporain

Guillermo Kuitca, peintre prodige

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 9 juillet 2021 - 843 mots

VILLENEUVE D’ASCQ

Le peintre qui représenta l’Argentine à la Biennale de Venise en 2007 n’avait pas été exposé en France depuis 20 ans. Le LaM offre un panorama passionnant de son œuvre.

Guillermo Kuitca dans son atelier. © DR.
Guillermo Kuitca dans son atelier.
© DR.

Villeneuve d’Ascq. Très tôt, Guillermo Kuitca a su qu’il voulait être peintre – il avait 13 ans lorsqu’il fit sa première exposition, en 1974, dans une galerie de Buenos Aires. Très vite aussi, il a éprouvé le sentiment des limites de la peinture, « si spécifique et partielle » qui restera pourtant son médium de prédilection et d’expérimentation. Cette présentation de près de deux cents œuvres (dessins, peintures, installations) permet de le suivre sur cette voie couvrant quarante ans d’une création en train de s’accomplir, marquée par quelques étapes clés.

Un de ses grands chocs esthétiques, Guillermo Kuitca le doit à une scénographie de Pina Bausch, lors d’une tournée de la chorégraphe en Amérique latine. En 1980, il assiste à une représentation de Café Müller, qui mélange la danse et le théâtre, alignant sur scène un dédale de chaises et de tables dans lequel se heurtent les danseurs sur fond d’arias de Henry Purcell. Cette vision des corps se frayant un chemin dans l’espace, mais aussi l’extraordinaire liberté du spectacle vivant, impressionne durablement l’adolescent.

Rencontre avec Wagner

Le théâtre lui offre un espace, physique et mental, vers lequel se projeter en tant que spectateur et en tant qu’artiste : les gradins de la salle font d’ailleurs parfois penser aux hémisphères d’un cerveau (Cartes et théâtres, 2018). Dans ce rapport fasciné à la scène, Richard Wagner sera une autre de ses références : les décors que Kuitca crée pour l’opéra Le Hollandais volant sont évoqués par une série d’impressions sur soie fixant dans des tons bleutés une parabole elliptique du voyage, incarné par un tapis à bagages et une piste d’atterrissage. Le rapport à l’espace théâtral reste une constante, tout comme la rémanence des chaises renversées de Café Müller, témoins muets d’une désertion, d’un désarroi, peut-être. Une aquarelle (Sans titre, 1989) les montre au milieu d’un cadre délimité par un trait d’encre qui se dilue dans une tache pourpre, vaguement sanglante.

Si la violence du contexte politique de l’Argentine dans lequel grandit Kuitca n’est jamais désignée frontalement dans ses peintures, elle est davantage perceptible dans ses dessins, dont une sélection est rassemblée dans la première salle. La dictature n’est pas un sujet qu’il aborde, cependant elle imprègne son œuvre. Celle-ci est parcourue de thèmes comme autant d’obsessions : les cartes, les plans, les pans de miroirs, les lits vides, reviennent la scander. La figure humaine, pour sa part, se contente d’être suggérée.

La palette de gris ternes, mauves ou charbonneux, de cette œuvre obsessionnelle, onirique, est dans l’ensemble assez sombre, mais l’humour, ou du moins une forme de dérision, n’en est pas absent. Ainsi dans la deuxième salle, l’installation de lits (Untitled) qui avait été exposée à la Documenta de Kassel en 1992, assemble une vingtaine de matelas comme les morceaux d’un puzzle composant une carte géographique tracée au feutre à même leur tissu. On pourra voir dans la juxtaposition de ces deux thèmes – le lit, la carte – l’infini sur lequel ouvrent les rêves. Ou au contraire, l’impossible homothétie entre la représentation mentale et les contingences physiques. Dans « De la rigueur de la science », une nouvelle de Jorge Luis Borges – écrivain que Kuitca connaît –, l’auteur argentin pousse jusqu’au délire l’hypothèse d’une parfaite correspondance entre la carte et le territoire, l’une finissant par recouvrir l’autre entièrement, absurdement.

Grands formats « cubistoïdes »

Vers 2010, un nouveau motif, abstrait, cette fois, s’impose dans des tableaux de très grand format. Il emprunte au cubisme ses angles diffractés, mais avec une dimension virale, proliférante, qui emplit la toile de façon plus compulsive qu’analytique. On songe, aussi, à Lucio Fontana devant une des premières grandes toiles de cette série (Sans titre, 2007-2008) au fond laiteux tailladé d’encoches grises, comme une couronne d’épines stylisée posée sur un coussin blanc. La couleur se glisse parfois dans les replis de ces lignes brisées. Elle éclate dans la toile placée en prologue de l’exposition (Untitled, 2003-2015). Les deux tiers supérieurs de ce tableau, marqués d’empreintes sombres, déclinent ce motif « cubistoïde ». Le bas du tableau quant à lui est embrasé par un jaune solaire sur lequel se juxtaposent des angles droits formant des plans ouverts. L’un d’eux, tout en bas, sert de cadre à un paysage polychrome en miniature. On devine par endroits des mains, des lettres, des mots, esquissés. Toute la virtuosité de Kuitca se déploie dans un jeu de miroirs où le regard s’abîme, mais peut aussi jouer à agrandir chaque détail, comme si la peinture avait intégré cette faculté des écrans tactiles à zoomer sur l’image.

Mis en avant lors de l’édition de juin du Zurich Art Weekend par la galerie Hauser & Wirth, qu’il a intégré en 2001, Kuitca est également commissaire de l’exposition « Les citoyens », à la Triennale de Milan. Mais les occasions de voir son travail en Europe étaient jusqu’à présent assez rares. En France, sa dernière exposition s’est tenue à la Fondation Cartier en 2000. Cette initiative du LaM n’en est que plus appréciable.

Guillermo Kuitca. Dénouement,
jusqu’au 26 septembre, LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 1, allée du Musée, 59650 Villeneuve d’Ascq.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : Guillermo Kuitca, peintre prodige

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