Architecture

XIXE-XXE SIÈCLES

Gaudí le visionnaire

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 4 mai 2022 - 789 mots

PARIS

S’appuyant sur les écrits d’architectes qui l’ont précédé et sur les arts décoratifs du passé, le Catalan a créé un univers formel détaché de toute école et anticipant l’art du XXe siècle.

Paris. En collaboration avec le Museu Nacional d’Art de Catalunya (Barcelone), le Musée d’Orsay fait le pari d’intéresser le grand public français à l’architecte espagnol Antoni Gaudí (1852-1926). À Paris, la seule exposition le concernant remonte à 1910. La scénographie arbore des couleurs et des courbes inspirées par l’art du Catalan et le propos, porté par les commissaires Juan José Lahuerta, Élise Dubreuil et Isabelle Morin Loutrel, permet de découvrir un artiste dont on n’a souvent d’autre image que celle du moine bâtisseur dévoué jusqu’à la mort à la construction d’une église, la Sagrada Familia. Certes, Gaudí fut ce mystique que certains admirateurs ne désespèrent pas de faire canoniser, mais l’exposition et le catalogue qui l’accompagne montrent qu’il fut aussi un héritier de l’esprit d’innovation du XIXe siècle et un inventeur de formes à la postérité féconde.

Collaboration d’architectes

Dès l’entrée, l’ensemble de boiseries qu’il a créées avec Josep Maria Jujol pour le vestibule d’un appartement (1906-1919), reconstitué ici pour la première fois à partir d’éléments dispersés dans plusieurs musées, frappe par sa monumentalité. « Gaudí-Jujol, duo divin » est le titre d’un essai de Mariàngels Fondevila dans le catalogue, et il faut en effet rendre hommage à cet architecte qui a mis, de 1904 à 1927, sa créativité au service du maître catalan. Celui-ci le poussait, écrivait Ricard Opisso, cité dans cet essai, « à se surpasser et à adopter, avec son imagination volcanique et ascendante, des formes nouvelles d’une originalité extraordinaire, anticipant l’abstraction surréaliste ». Cet artiste inclassable, auquel le Centre Pompidou a consacré une exposition en 1990, fait partie des pépites que comptait l’atelier de Gaudí, qui ne travaillait pas seul, comme sa légende pourrait le laisser croire. L’atelier de la Sagrada Familia, en partie détruit pendant la guerre civile de 1936, est évoqué par un miroir en angle comme celui qui y était installé pour étudier les modèles vivants, des photographies qui étaient utilisées pour garder trace du travail, des dessins et des plâtres. Il faut noter que ces derniers ont été moulés sur nature. L’architecte ne privilégiait absolument pas le geste créateur : c’était l’idée créatrice qui lui importait.

Un mécénat fécond

Un espace consacré à l’exposition parisienne de 1910 introduit le thème de la relation de Gaudí avec son mécène, Eusebi Güell. Cet industriel, parfait produit de la bourgeoisie entreprenante et éclairée de Barcelone, avait, en effet, organisé l’exposition. Au contraire de Gaudí, Güell avait vécu en France et voyageait beaucoup, notamment en Angleterre. Sa culture était à la hauteur des recherches de son architecte qui tirait son inspiration, tant pour la construction que pour la décoration, de publications françaises, britanniques ou italiennes. Le magnat et l’artiste, qui partageaient une foi ardente et une même culture musicale et littéraire, eurent un dialogue fécond, le premier soutenant l’originalité et l’extraordinaire modernité du second. L’exposition présente des photographies de la Finca Güell, aménagée par Gaudí à partir de 1881, et du palais Güell construit entre 1886 et 1891.

À côté des photos anciennes montrant les aménagements intérieurs, des objets témoignent de la créativité de Gaudí et de son atelier : plaque d’égout pour la Finca Güell, esquisse pour un mur extérieur peint, aujourd’hui détruit (Hercule cherchant les Hespérides d’Aleix Clapés i Puig, vers 1890) et pièces du mobilier du palais. L’émulation entre le commanditaire et l’artiste a également donné naissance au parc Güell, dont proviennent des Éléments de trencadis (1904.), céramiques décoratives dérivées de l’art mudéjar. C’est aussi essentiellement par leur mobilier et leur décoration, notamment leurs ferronneries, que sont évoquées d’autres maisons réalisées par l’atelier de Gaudí : Casas Vicens, Calvet, Batlló, Milà que l’on peut encore admirer à Barcelone – l’ensemble des constructions subsistantes de l’architecte est inscrit au patrimoine mondial.

La Sagrada Familia, œuvre d’art totale

Le parcours se conclut sur l’architecture religieuse. Le travail de l’atelier à la cathédrale de Palma de Majorque est symbolisé par le vitrail de saint Paul apôtre et saint Valérien martyr (1903). L’église de la Colonie Güell donna lieu à un chantier important bien qu’inachevé – seule la crypte monumentale a été réalisée. Enfin, Gaudí commença à travailler à la Sagrada Familia en 1883 et celle-ci n’est toujours pas terminée. C’est une œuvre d’art totale d’un créateur précurseur du surréalisme, comme du cinéma ou de la bande dessinée d’anticipation, témoignant à la fois de ce que Francesc Pujols a appelé le « wagnérisme architectural » et d’un goût pour l’art pauvre, utilisant notamment les matériaux recyclés. Gaudí est, comme son église, un mythe catalan. Point final de l’exposition, Tríptic d’Antoni Tàpies (1948), qui lui rend un hommage amusé, en témoigne.

Gaudí,
jusqu’au 17 juillet, Musée d’Orsay, esplanade Valéry-Giscard-d’Estaing, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Gaudí le visionnaire

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