Art moderne

XIXE-XXE SIÈCLES

Gallen-Kallela, chantre de la mère-patrie

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 5 avril 2022 - 857 mots

PARIS

Plus qu’un genre pictural, le paysage, pour l’artiste finlandais exposé au Musée Jacquemart-André, était le socle de sa communion avec sa terre natale dans une conception panthéiste de la nature.

Paris. Depuis deux ans, les visiteurs du Musée d’Orsay peuvent admirer une œuvre du peintre finlandais Akseli Gallen-Kallela (1865-1931), Le Grand Pic noir (1892-1894). L’oiseau à la crête rouge immergé dans le paysage grandiose du lac de Paanajärvi, en Carélie, fait figure de double du peintre profondément attaché à la nature finlandaise. C’est ce chantre de la mère-patrie que présente la commissaire Laura Gutman, qui a obtenu les prêts des institutions finlandaises pour cette exposition de près de soixante-dix œuvres et objets. Il ne s’agit pas, comme au Musée d’Orsay en 2012, d’une rétrospective mais d’une analyse de la personnalité de l’artiste à travers les paysages qu’il a peints. Et, si Le Grand Pic noir ne figure pas à l’exposition, le même oiseau y apparaît dans une œuvre très symbolique des préoccupations du peintre.

Un Finlandais à Paris

Gallen-Kallela incarne le cosmopolitisme et les tensions de la Finlande qui a longtemps dépendu de la Suède, avant d’être annexée par la Russie, en 1809. Son père, suédophone, a changé son nom de famille, passant du finnois Kallela au suédois Gallen. Pour sa part, Axel Waldemar Gallen prendra officiellement le nom d’Akseli Gallen-Kallela en 1907, affirmant définitivement son appartenance finnoise. À Helsinki, le jeune homme apprend à peindre auprès d’Adolf von Becker (1841-1909) d’abord formé à l’école du paysage de Düsseldorf puis dans les ateliers de Gustave Courbet et de Thomas Couture. C’est donc très naturellement qu’Akseli, grâce à une bourse, rejoint en 1884 la colonie de peintres finlandais de Paris. Comme Albert Edelfelt, qui le prend sous son aile, il est un admirateur du peintre naturaliste Jules Bastien-Lepage (1848-1884) et de sa vision de la nature et des paysans. Tout le début de la carrière du jeune artiste, qui fait des allers-retours entre la France et la Finlande, reflète cette influence.

Grâce à Edelfelt, il peut se lancer dans le projet d’un grand tableau pour l’Exposition universelle de 1889 : il peint à Paris La Légende d’Aïno (1888-1889) qu’il ne présentera finalement pas car, comme l’avait fait Bastien-Lepage pour sa Jeanne d’Arc (1879), il a choisi une esthétique naturaliste que les milieux artistiques parisiens ne comprennent plus. L’œuvre, la première faisant référence à l’épopée nationale du Kalevala, rencontre un grand succès lorsqu’elle est montrée en Finlande. Cette version est exposée au Musée Jacquemart-André, avec son cadre réalisé par un artisan montmartrois sur les dessins du peintre. En 2012, le Musée d’Orsay avait présenté la seconde version, peinte en Finlande en 1891 : pour celle-ci, les études ont été réalisées pendant le voyage de noces de l’artiste dans la région sauvage de Cajanie.

Vers un symbolisme inspiré par la théosophie

La Légende d’Aïno marque un tournant dans sa carrière et il aborde sa période symboliste. Désirant s’immerger dans la nature pour travailler, il construit en 1894-1895 une maison-atelier au bord du lac de Ruovesi, à laquelle il donne le nom de « Kalela ». Comme la « Red House » du Britannique William Morris que le peintre a visitée, Kalela est une œuvre d’art totale et le creuset de nouvelles recherches. Il y réalise l’un de ses premiers vitraux, Finlande lève-toi (1896), un hymne à la nature de la mère-patrie signé « GK ». Il est alors engagé dans une démarche spirituelle partagée par nombre d’intellectuels et d’artistes de la fin du XIXe siècle, la théosophie. Dans les œuvres symbolistes qu’elle lui inspire, comme dans ses œuvres kalévaléennes, la nature tient une place prépondérante : La Rivière des morts (1893) ou L’Île des bienheureux (1897) en témoignent, mais aussi Ad Astra (1907) où une jeune femme figurant l’âme s’élève dans un ciel étoilé. En 1895, le peintre perd sa fille de quatre ans, morte de la diphtérie à Kalela alors qu’il se trouve en Allemagne dans le cercle d’Edvard Munch. Il est donc particulièrement concerné lorsque l’homme d’affaires Fritz Arthur Jusélius lui commande le décor d’un mausolée pour sa fille de onze ans, Sigrid, décédée brutalement en 1898. L’exposition présente une série de dessins préparatoires et d’études pour la coupole et les murs : on y voit Le Pin (1901), l’un des six arbres représentatifs de la nature finnoise, escaladé par un grand pic noir.

La fin de l’exposition montre le synthétisme qui caractérise les paysages de Gallen-Kallela à partir de 1900. Influencé par les postimpressionnistes, l’estampe japonaise et la photographie qu’il pratique, il modifie ses compositions : l’horizon de La Tanière du lynx (1906, voir ill.) est relevé et, dans Paysage d’hiver (1917), des arbres très graphiques dont on ne voit qu’un tronçon servent de premier plan à une vue de lac presque abstraite, comme l’était également Nuages sur le lac (1904). Cependant, alors qu’il connaît parfaitement les avant-gardes, il n’ira jamais au-delà, attaché à la réalité du paysage qu’il conçoit comme un monde primitif et panthéiste. Pour retrouver ce contact avec la vie sauvage qu’il voit disparaître en Finlande où la forêt commence à être exploitée industriellement, il partira en Afrique puis au Nouveau-Mexique. Mais c’est une autre histoire que n’aborde pas l’exposition.

Gallen-Kallela. Mythes et nature,
jusqu’au 25 juillet, Musée Jacquemart-André, 158, boulevard Haussmann, 75008 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Gallen-Kallela, chantre de la mère-patrie

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