Art moderne

XXE SIÈCLE

Frida Kahlo, tout pour l’apparence

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 19 octobre 2022 - 854 mots

PARIS

Une exposition essentiellement construite à partir de photos et de costumes met en valeur la personnalité de l’artiste à travers ses tenues et l’image qu’elle donnait d’elle-même.

Paris. L’extraordinaire énergie vitale qui lui a permis de supporter une vie de souffrances (dues à la poliomyélite et à un terrible accident de la circulation, suivis de multiples hospitalisations pour des opérations chirurgicales, des fausses couches et des avortements thérapeutiques), sa sympathie pour toutes les révolutions et son comportement très libre de polyamoureuse bisexuelle font de Frida Kahlo (1907-1954) un modèle pour nombre de nos contemporains. Elle est aussi une inspiratrice pour le milieu de la mode, ce qui explique que ce soit le Palais Galliera qui accueille l’exposition en provenance des musées Diego Rivera et Frida Kahlo de Mexico dont le cœur est constitué d’une vingtaine de mannequins portant des tenues de l’artiste. Sous le commissariat de Circe Henestrosa, directrice de l’École de mode Lasalle à Singapour, spécialiste de Frida Kahlo, Miren Arzalluz, directrice du Palais Galliera et Gannit Ankori, directrice du Rose Art Museum (Waltham, Massachusetts), sont montrés environ deux cents objets témoins de la vie de l’artiste mexicaine – des photos, des tubes de rouge à lèvres, des vernis à ongles et seulement neuf dessins et six petites peintures – provenant principalement de la Casa Azul à Mexico où elle est née et morte. Nombre de ces pièces se trouvaient dans deux salles de bains et des placards fermés à sa mort par son mari, Diego Rivera, et qui ont été ouverts en 2003. On y a trouvé, entre autres, plus de 6 500 photographies, environ 300 vêtements et une trentaine de dessins.

L’artiste prise en photo

Dans la section consacrée à l’enfance de Frida Kahlo, l’accent est mis sur les portraits que son père, photographe professionnel, réalisait d’elle. On y voit aussi sa mère enfant et plusieurs femmes de la famille habillées « dans le style de l’isthme de Tehuantepec (État de Oaxaca) dont témoigne le traditionnel “Resplandor” amidonné. Frida Kahlo a été habituée aux vêtements colorés de la région de sa mère dès son plus jeune âge », précise le cartel [voir ill.].

Plus loin, la jeune Frida, dix-neuf ans, est vêtue en homme sous l’objectif de son père. Un portrait en buste, Frida Kahlo portant une casquette (1926), la présente dans ce costume. Dans un essai du catalogue, Gannit Ankori précise : « Frida se démarque par son anticonformisme en arborant un costume trois-pièces d’homme. » Nous sommes loin de la description des faits par Gérard de Cortanze, auteur de plusieurs ouvrages sur l’artiste, qui écrit dans Viva Frida (J.-C. Lattès, 2022) : « À force de sécher les cours [de la Preparatoria, l’école dans laquelle elle est inscrite], Frida commence à fréquenter un groupe […] turbulent, original, anticonformiste, [qui] s’appelle Las Cachuchas. C’est-à-dire « Les Casquettes ». C’est l’un d’entre eux […] qui leur a confectionné leur signe de ralliement : une sorte de couvre-chef tenant de la casquette et du béret, taillé dans un tissu marron à damiers. » Frida ne se cherche pas un style en s’habillant en homme, mais s’intègre ainsi dans ce groupe de sept garçons et deux filles. D’ailleurs, l’autre fille s’habille aussi en homme.

Autoportraits emblématiques

« Frida Kahlo fut d’abord célèbre pour avoir posé devant l’objectif d’importants photographes. Venus immortaliser l’éminent Diego Rivera, ceux-ci furent subjugués par son épouse. Frida Kahlo a construit son identité emblématique et inoubliable, connue comme “la Mexicana” en collaborant avec des photographes de renom, tels Imogen Cunningham, Peter A. Juley ou Edward Weston, bien avant de développer son langage plastique en tant que peintre », précise le cartel de la photographie prise par le studio Peter A. Juley & Son, à San Francisco, en 1931, montrant Frida Kahlo et Diego Rivera dans l’atelier du sculpteur Ralph Stackpole. Or il apparaît au contraire que le langage plastique de l’artiste se développe dès lors qu’elle s’adonne à la peinture, clouée au lit par les suites de l’accident qui a failli lui coûter la vie. L’autoportrait en robe de velours, réalisé pour le garçon avec lequel elle était ce jour-là, date de 1926, deux ans avant sa rencontre avec Rivera. Elle entame à ce moment sa série d’autoportraits si emblématiques de son œuvre, qu’elle peint alors couchée grâce à un miroir installé par ses parents au-dessus de son lit.

Oui, Frida Kahlo a fait passer par son apparence – vêtements mexicains, bijoux, maquillage, coiffure – une reconstruction psychologique entreprise après son accident et qu’elle a dû conforter toute sa vie (on ne trouve pourtant aucune mention de ses tentatives de suicide dans l’exposition). D’abord en tâtonnant, puis avec beaucoup de maîtrise et en partie sous l’influence de Rivera, elle a élaboré son personnage comme une œuvre d’art et cela justifie qu’elle soit devenue une icône, notamment pour les couturiers : l’exposition-capsule, à l’étage du Palais Galliera, en fournit une preuve éclatante. Elle n’était pourtant ni mannequin, ni influenceuse, ni même engagée dans le combat féministe. La « Fridamania » ne doit pas faire oublier qu’elle était d’abord peintre et que c’est cet aspect de sa personnalité qu’elle a voulu faire connaître avant tout et qui lui donne sa place dans notre culture.

Frida Kahlo. Au-delà des apparences,
jusqu’au 5 mars, Palais Galliera, 10, avenue Pierre 1er de Serbie, 75116 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°596 du 7 octobre 2022, avec le titre suivant : Frida Kahlo, tout pour l’apparence

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque