Italie - Art contemporain

Florence célèbre la fierté italienne

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 31 mai 2018 - 1084 mots

FLORENCE / ITALIE

Le Palazzo Strozzi rappelle une fois encore combien la création italienne des années 1950 et 1960 a été inventive, nourrie par la reconstruction d’après-guerre, mais aussi par les tensions de l’époque.

Florence. Arturo Galansino, le directeur du Palazzo Strozzi détonne dans l’univers muséal italien. Non seulement ce spécialiste de la Renaissance se passionne pour l’art contemporain, mais en plus il s’est donné pour mission de le faire aimer du grand public et ce avec des moyens inhabituels, souvent astucieux. Après Ai Weiwei et Bill Viola, la nouvelle exposition du palais florentin se propose de raconter la naissance de la nation italienne à travers l’art de l’après-guerre jusqu’à 1968. En fait une renaissance, car avant la longue parenthèse mussolinienne, l’unification italienne s’était faite au siècle précédent. Aussi la promesse de célébrer l’avènement de la République et de renvoyer aux Italiens leur histoire ne peut qu’encourager le public à venir nombreux, même si c’est pour voir un art que certains apprécient modérément.

Pour le mettre en confiance, un diaporama diffuse en permanence dans une salle introductive des images de la société italienne (la reconstruction, la Dolce Vita…) mêlées à l’actualité internationale de l’époque. Trône également dans cette salle une immense toile néoréaliste, représentant une bataille célèbre du Risorgimento que le peintre Renato Guttuso présente comme une préfiguration de la victoire du parti communiste. Depuis don Camillo et les films de Fernandel, les Français savent bien que pendant longtemps la vie politique italienne s’est organisée entre la Démocratie chrétienne alliée à l’Église et le très puissant PCI (parti communiste italien).

Mais le contexte historique et sociétal s’efface bien vite pour laisser toute leur place aux œuvres dans une présentation qui vise en réalité à vanter l’effervescence et l’originalité créatrice de l’époque. Luca Massimo Barbero, le commissaire d’exposition n’a pas voulu dérouler un panorama de la création – institutionnelle ou pas – de l’époque, dominée par les néoréalistes et les héritiers de Giorgio de Chirico, mais de manière très subjective montrer la part la plus prolifique, particulièrement celle qui a été largement plébiscitée par le marché international : Burri, Fontana, Penone...

Toutefois, comme l’actualité de l’époque est très prégnante, les artistes, plus engagés qu’aujourd’hui, s’en font l’écho très directement. C’est d’abord la guerre froide et l’influence déjà mentionnée du PCI avec les pochoirs de Khrouchtchev et Kennedy de Sergio Lombardo, ou le ciel étoilé de faucilles et de marteaux de Franco Angeli. Et puis, c’est dans les années 1960, la montée des protestations bien illustrée par la Manifestation (1968) du même Angeli. La même année Luciano Fabro pend par le pied la péninsule italienne (L’Italia), une référence – dit-on – à la pendaison du Duce en 1945.

Si l’art reste très militant, il sait aussi s’éloigner des grands thèmes politiques, surtout lorsqu’il délaisse la figuration. Ce qui frappe en observant les 70 œuvres exposées, c’est la quasi-simultanéité dans le temps de démarches formelles très différentes. L’abstraction lyrique internationale dominante est ici représentée par le magnifique Scontro di situazioni (Clash of Situations, 1959) d’Emilio Vedova. Elle s’oppose à Sacco e bianco (Sack and White, 1953) d’Alberto Burri dans une composition très maîtrisée et orthogonale faite de textiles étirés (la toile viendrait des sacs qui contenaient les aliments déversés par le plan Marshall). L’Art informel, comme on le nomme de ce côté des Alpes s’étend aux « Concetto Spaziale (Spatial Concept, 1962) » de Lucio Fontana dont est exposée une édition sur cuivre. Les monochromes justement, qui ont fait la réputation de l’école italienne ont droit à une salle entière, où voisinent au moins six toiles matiéristes (en l’occurrence du kaolin) toutes blanches de Piero Manzoni. Blancs également sont les monochromes de Pietro Consagra, Lucio Fontana, Angelo Savelli ou Enrico Castellani. Une salle qui, à elle seule, vaut la visite à Florence. C’est aussi l’occasion d’observer, on n’ose dire admirer, l’édition n° 68 des boîtes de conserve de Manzoni supposément contenir la Merda de l’artiste dont l’étiquette marron contraste avec la blancheur de la salle. « C’est un génie, affirme Arturo Galansino, il a tout inventé. » La salle suivante confirme l’inventivité de cette génération très douée avec plusieurs installations, dont la signification échappera à une grande partie du public, si ce n’est une queue de baleine toute noire de Pino Pascali ou une table en bois dans un cadre de Michelangelo Pistoletto.

Même le pop art, au demeurant peu présent, a été largement revisité par les artistes italiens qui puisent nettement moins que leurs confrères américains dans les objets et images de société de consommation au profit des nouveaux comportements induits par la société de masse tel que l’anonymat, comme en témoignent les silhouettes de Renato Mambor. La seule femme de l’exposition (est-ce le reflet d’une génération très masculine ?), Giosetta Fioroni, est présente avec un portrait de… femme qui côtoie (mauvais goût ou bévue ?) une figure féminine allongée, colorée d’or avec des rehauts de dessins soulignant ses formes dénudées de manière très suggestive. Curieusement l’Arte povera n’est pas évoqué en tant que mouvement, mais ses représentants sont loin d’être absents, de même – comme s’il fallait enfoncer le clou – sur la prodigieuse fertilité de cette génération, une édition des cartes géographiques d’Alighiero Boetti (qu’il a commencées en 1971, soit en dehors des limites temporelles de l’exposition) orne la dernière salle. Malicieusement, le directeur rappelle que seul son pays bénéficie « d’Italian Sales » dans les grandes ventes aux enchères de New York et Londres.

Naissance d’une nation : de Guttusi à Fontana et Schifano, jusqu’au 22 juillet, Palazzo Strozzi, Piazza degli Strozzi, Florence (Italie).

Le toboggan de Carsten Höller

« Florence a toujours marié la science et l’art », rappelle Arturo Galansino, le directeur du Palazzo Strozzi. Ce printemps il y a ajouté une dimension ludique. Les visiteurs sont invités à emprunter deux toboggans géants installés dans le vaste atrium, l’un étant plus rapide donc plus stressant que l’autre, en emmenant un plant de haricot. Ils remettent alors ce plant à un technicien qui va mesurer le CO2 émis par la plante, en réaction à l’état de nervosité plus ou moins grand des descendeurs. Une autre expérience mesure le stress, normalement différent, de spectateurs répartis dans deux salles : une qui projette des films d’horreurs et l’autre des films heureux. « Je n’ai plus envie de montrer de l’art, explique Carsten Höller au Journal des Arts, il y a une profusion d’art. » Depuis longtemps l’artiste, qui a démarré une carrière d’entomologiste, avant de se tourner vers l’art, s’intéresse davantage à la démarche scientifique, notamment lorsqu’elle vise la nature, en tant qu’objet d’art. Jusqu’au 26 août.
 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°502 du 25 mai 2018, avec le titre suivant : Florence célèbre la fierté italienne

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