Conceptuel ou décoratif ?

Les ambiguïtés de la peinture symboliste au Pavillon des Arts

Le Journal des Arts

Le 14 avril 2000 - 531 mots

L’exposition conçue par Jean-David Jumeau-Lafond, qui avait entamé l’an dernier son périple au Musée d’Ixelles, vient à Paris. Par le nombre d’œuvres réunies, la diversité des artistes présentés et la richesse des informations, elle offre pour la première fois un panorama des peintres français qui, à la fin du XIXe siècle, ont gravité dans le sillage de ce qu’il est convenu de qualifier aujourd’hui de Symbolisme.

PARIS - Belle et sensible, l’exposition joue pleinement des ambiguïtés de la peinture symboliste pour livrer une construction qui prête forcément à discussion par la redéfinition du Symbolisme qu’elle propose. Lorsque la manifestation avait été présentée à Ixelles, l’“honnête visiteur” était prié dès l’entrée de s’incliner face aux paroles de Péladan : “Les hommes que tu vois sont des héros, des hiérophantes, des demi-dieux”. Mais qu’en est-il de ces hypothétiques symbolistes érigés en “peintres de l’âme” ? En agissant de la sorte, son commissaire prend pour modèle Joséphin Péladan lui-même. Avec une nuance de taille : Moreau, Puvis et Redon, qui forment l’épine dorsale de l’accrochage, ne sont plus là pour refuser d’être associés à des manifestations qu’ils critiquent. L’opération reste identique à ce qu’elle fut, dès 1892, avec la fondation des salons de la Rose-Croix : opérer une révolution de la critique qui permette, au-delà des œuvres disparates rassemblées, de circonscrire un terrain où l’esthétique rejoindrait l’éthique et où la forme, restaurée dans son aspiration classique, se confondrait avec l’idée. Péladan voulait éradiquer le Naturalisme et combattre l’Impressionnisme. Sous leur forme moderne,  ses épigones veulent aujourd’hui inviter à une relecture de l’historiographie moderne. À travers ces “peintres de l’âme”, nous sommes priés de réviser une histoire constituée à partir de cet Impressionnisme que Redon jugeait “bas de plafond” et qui conduit désormais à une condamnation sans appel des avant-gardes. Sous la plume du commissaire de l’exposition, les blanchisseuses de Degas s’ennuient, les natures sont mortes, rien ne pense et rien ne vit.

L’alchimie de l’idée et de la forme
Telle qu’elle a été vue à Ixelles, la manifestation se situe ainsi de plain-pied dans le sillage du “Paradis perdu” révélé par Jean Clair en 1995, où les “peintres de l’âme” n’occupaient qu’un rôle subalterne. Tels qu’ils nous sont présentés, ces artistes constitueraient l’ultime tentative de renouer les liens qui unissaient l’homme à l’univers et que la modernité aurait défaits. S’élabore ainsi un long discours de légitimation qui entend démontrer que le Symbolisme seul aurait réussi l’alchimie de l’idée et de la forme, dans un respect absolu d’un art à la fois sacré et social. La modernité des “peintres de l’âme” se situerait autant dans le discours, qui daterait à la fin de siècle l’acte de naissance du conceptuel, que dans la forme, ouverte à une “plastique nouvelle”. Pourtant, force est de constater que “l’art inventif et libre” annoncé se résume sur les cimaises à une recherche décorative qu’il aurait été heureux d’analyser, à la fois dans l’harmonie des couleurs et le traitement des cadres (que le catalogue ne reproduit malheureusement pas).

- LES PEINTRES DE L’ÂME. LE SYMBOLISME IDÉALISTE EN FRANCE, 19 avril-2 juillet, Pavillon des Arts, 101 rue Rambuteau, 75001 Paris, tél. 01 42 33 82 50, tlj sauf lundi et jf 11h30-18h30. Catalogue.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : Conceptuel ou décoratif ?

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