Art déco

Comprendre L’Art déco en France et en Amérique du Nord

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 3 janvier 2023 - 986 mots

Explorant l’Art déco, l’exposition pléthorique de la Cité de l’architecture étudie les échanges artistiques, intellectuels et diplomatiques inférés par ce mouvement transatlantique. De la mondialisation d’un esprit nouveau.

1. Passeurs du goût français

Accostant aux États-Unis, l’Art déco rencontre une civilisation avide de progrès et éprise de nouveauté. Plus encore, cette tendance venue de France inocule à l’Amérique une certaine idée du goût, du bon goût, d’un art de vivre à la française où confluent l’élégance et le raffinement. Cette incorporation du goût français est soutenue par de nombreuses chroniqueuses et publicistes, particulièrement familières des modes issues du Vieux Continent – Diana Vreeland ou Thérèse Bonney, qui publie en 1929 A Shopping Guide to Paris. Ce nouveau luxe devient pour les milliardaires américains une marque souveraine de distinction. Pour preuve, l’engouement que suscite outre-Atlantique la peinture mondaine de Bernard Boutet de Monvel, qui exécute de nombreux portraits de la Café society, ceux des membres de la famille Vanderbildt par exemple. Symétriquement, ce peintre de l’élégance compose des vues splendides, et volontiers photographiques, des buildings de New York. Ici, un prestige symbolique, là, une fascination optique.

2. Ruhlmann, ensemblier de génie

L’Art déco contamine de nombreuses disciplines, achevant un idéal ancien, celui du Gesamtkunstwerk, autrement dit d’un « art total » capable de subsumer des domaines parfois éloignés, ou réputés « non nobles » – mode, joaillerie, verrerie, parfumerie. Aussi, le mitan des années 1920 marque l’essor des « décorateurs » et des « ensembliers », parmi lesquels Paul Follot, Maurice Dufrêne et, plus encore, Jacques-Émile Ruhlmann, le « pape de l’Art déco », dont la mort en 1933 signe le crépuscule d’une époque. Ébéniste virtuose, spécialisé dans le mobilier de luxe, Ruhlmann s’intéresse également aux tapis, aux tissus et aux luminaires, livre des ensembles pour des paquebots, des hôtels ou des gratte-ciel, dont le nouveau chauffage central lui impose d’imaginer des châssis de métal pour ses meubles. Sacré en 1925 lors de l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes, son travail exigeant lui assure une ambitieuse exposition à Rio de Janeiro (1923) et des acquisitions de son vivant par le Met de New York. Faste et reconnaissance.

3. Carlu, héraut de l’Art déco

L’architecte Jacques Carlu (1890-1976) est une figure emblématique de l’Art déco, aussi bien en France qu’aux États-Unis. Élève de l’École des beaux-arts de Paris, voyageur infatigable, il est désigné premier Grand Prix de Rome en 1919. Parfaitement anglophone, irrésistiblement américanophile, Carlu dirige l’enseignement d’architecture de la Fontainebleau School of Fine Arts, inaugurée en 1923 dans l’aile Louis XV du château, sous le patronage de la Fondation Rockefeller. Enseignant au MIT de Boston, Carlu se partage entre la France et les États-Unis, où il réalise de fastueux projets de décoration intérieure avant d’hériter en 1934, avec les architectes Louis-Hippolyte Boileau et Léon Azéma, de la transformation du Trocadéro en Palais de Chaillot, à Paris. Navire amiral de l’océanique Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne de 1937, ce bâtiment colossal, avec ses proportions washingtoniennes, traduit l’américanisation d’un style Art déco. D’un continent l’autre.

4. Les trans-atlantiques, vitrines flottantes

Si l’Art déco est un mouvement perpétuel entre la France et les États-Unis, le transatlantique en est la métonymie la plus savante. Assurant des allers-retours entre les deux continents, les paquebots incarnent parfaitement les échanges artistiques qui, au sortir de la Grande Guerre, unissent alors deux mondes – ancien et nouveau, encyclopédique et progressiste, sauvé et sauveur. Le navire Île-de-France, bien qu’il fût éclipsé par le Normandie puis le France, constitua longtemps la vitrine majestueuse et collégiale de l’Art déco : vases de Jacques-Émile-Ruhlmann, ferronneries de Raymond Subes, chaises et tables de Louis Süe et André Mare, luminaires de René Lalique, peintures de Jean Dupas ou sculptures d’Alfred Janniot. Harmonieuse et monumentale, raffinée et somptueuse, cette anthologie flottante de l’Art déco influença durablement de nombreux édifices, construits sur la terre ferme dans un « style Paquebot » – longues horizontales, amples courbes, toit-terrasse, porte-à-faux, amplitude cathédrale. Sur terre et sur mer, des bâtiments merveilleux.

5. Le style Streamline, l’obsession moderniste

Les années 1920 permettent de dessiner une courbe vitaliste de l’Art déco, qui connaît son acmé en 1925, avec l’Exposition internationale qui lui offrit son nom, et son déclin en 1929, date de la Grande Dépression. D’une plasticité inouïe, les artistes américains, encouragés par la politique du New Deal de Franklin D. Roosevelt, répondent à ce déclin par l’invention d’une esthétique nouvelle (le style Streamline) et l’apparition d’une profession inédite (le designer). Issu de l’aérodynamique, le Streamline, littéralement « cours du ruisseau », plébiscite des formes courbes et galbées, pareilles à la goutte d’eau ou à la balle de fusil. Ce fonctionnalisme moderniste enfante des architectures dynamogènes (Pan-Pacific Auditorium de Los Angeles, 1935) et des objets profilés, aisément reconnaissables, gorgés d’une modernité nouvelle, ainsi du réveil Zephyr (1937) imaginé par Paul Feher et George F. Adomatis et de l’iconique aspirateur 150, de chez Hoover, par Henry Dreyfuss (1934). Autant de témoins d’une foi inébranlable dans le progrès.

6. Miami Beach, l’architecture stylisée et épurée

Singulièrement, une ville fut, à l’égal de New York, quoique diversement, un foyer majeur de l’Art déco aux États-Unis : Miami. Face à l’océan, la cité est une station balnéaire frappée par la modernité la plus saillante du siècle. Inspirée par un héritage colonial, la ville de Miami conjugue le pittoresque et l’international, le palmier et la large baie vitrée. La stylisation des formes le dispute à l’épuration des lignes, les longues horizontales répondent aux courbes. Tout se tient, tout s’élève. Les matériaux innovants dialoguent avec des espaces cathédraux, lumineux. Le soleil est l’astre de la « modernité ». Le climat dicte sa loi, oriente des solutions innovantes, issues de l’architecture assyrienne – temples, tours et ziggourats – ou italienne – terrasses et colonnades. Luxe, calme et volupté : Miami Beach devient dans les années 1930 l’épicentre américain d’un « Mediterranean Revival » ou d’un « Tropical Deco », entre expansion métropolitaine et classicisme nouveau. Royaume de la ligne, de la précision et du confort. Sous le soleil, exactement.

« Art déco. France/Amérique du Nord »,
jusqu’au 6 mars 2023. Cité de l’architecture et du patrimoine, Palais de Chaillot, 1, place du Trocadéro-et-du-11-Novembre, Paris-16e. De 11 h à 19 h tous les jours de la semaine (sauf le mardi) et de 10 h à 19 h le week-end. Nocturne jusqu’à 22 h le jeudi. Tarifs : 9 et 6 €. www.citedelarchitecture.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°761 du 1 janvier 2023, avec le titre suivant : Comprendre L’Art déco en France et en Amérique du Nord

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