DU VIIIE SIÈCLE À NOS JOURS

A Bruxelles, l’Islam en partage

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 15 novembre 2017 - 848 mots

Politiquement sensible, le sujet est abordé du point de vue de la civilisation et non de la religion, avec une orientation pédagogique qui met en valeur le multiculturalisme en Europe.

Bruxelles. L’exposition « Islam, c’est aussi notre histoire ! » bénéficie de soutiens européens car il s’agit de montrer comment les héritages musulmans ont enrichi la civilisation européenne. Le projet a ainsi été porté conjointement par l’association Musée de l’Europe, qui regroupe des personnalités politiques de tous bords, et l’agence Tempora spécialisée dans les expositions historiques. Un comité scientifique international (Allemagne, France, Belgique, Bosnie, Turquie) complète cette structure collégiale qui doit garantir l’objectivité du projet. Hébergée dans le bâtiment Vanderborght, elle se déploie dans les étages autour d’un atrium central transformé en café oriental à la décoration sobre. François Henrard, chargé de projet chez Tempora, explique : « Nous avons choisi trois périodes historiques et à chaque fois nous présentons ce qui s’est passé, les relations entre communautés et les héritages culturels. » Une dernière partie concerne la période contemporaine, dotée d’une scénographie différente.

Après un rapide prologue qui rappelle les origines communes des trois monothéismes, l’exposition bifurque vers l’Espagne musulmane (du VIIIe au XVe siècle) en évacuant la question religieuse, car il s’agit d’une « exposition de civilisation », comme le souligne François Henrard. D’où l’initiale majuscule au mot « Islam », bien que le grand public ne soit pas nécessairement sensible à la nuance.

Dans un décor de bibliothèque médiévale, des manuscrits arabes d’astronomie ou de chirurgie symbolisent l’échange des savoirs à l’époque, tandis qu’une carte rappelle les conquêtes arabes jusqu’aux Pyrénées puis l’étendue de la Reconquista. Mais ce sont les échanges interculturels qui sont mis en valeur, à travers des témoignages vidéo de personnages réels ou fictifs sur l’Espagne multiconfessionnelle.

Des tulipes incongrues
Même démarche pour la deuxième section consacrée à la période ottomane, dans un décor de tente turque, qui évoque le nomadisme : or les traces laissées par les Ottomans sont urbaines, dans l’architecture de Sarajevo, dans la création des « cafés » en Europe ou dans la mode des « turqueries » françaises. Des extraits de films turcs sur les conquêtes ottomanes apportent un contrepoint utile aux nombreux objets de décoration qui illustrent un point de vue européen, tels les vases à tulipes hollandais. Et l’exposition touche ici ses limites : la tulipe importée de Turquie constitue-t-elle un marqueur culturel musulman en Europe ? N’est-elle pas surtout le résultat d’échanges commerciaux ? Cette section a cependant le mérite d’évoquer les débuts de la mode orientaliste au XVIIIe siècle.

La dernière section présente largement l’orientalisme dans le cadre de la période coloniale jusqu’aux décolonisations, le tout dans un décor de bassin portuaire. Les dynamiques des empires français et britanniques sont documentées à travers des tableaux orientalistes et l’évocation des Expositions coloniales, de la figure de Pierre Loti, des tirailleurs sénégalais ou de la guerre d’Algérie : le propos se dilue un peu ici. Après les Odalisques des orientalistes, il aurait été intéressant de montrer, par exemple, les mots anglais ou français empruntés aux colonies pour illustrer les héritages musulmans, alors que les organisateurs ont choisi des photographies d’immigrés pakistanais ou algériens.

L’identité bosniaque
Pour la période contemporaine, les organisateurs ont choisi de présenter uniquement des œuvres d’art, comme si cette section constituait une exposition à part entière. « Ce sont les œuvres qui ont été choisies pour leur pertinence et non les artistes en raison de leurs origines », indique François Henrard. Les questions politiques et religieuses sont beaucoup plus présentes ici que dans le reste de l’exposition : le voile intégral par exemple, est le sujet de la série « Mother, Daughter, Doll » de Boushra Almutawakel où une mère, sa fille et la poupée sont progressivement recouvertes jusqu’à disparaître. Les immigrés maghrébins en France sont représentés, chez Karim Ghelloussi, par des statues grises à peine individualisées. Surtout l’identité en Bosnie-Herzégovine, pays européen musulman, agite plusieurs œuvres qui évoquent les changements de drapeaux, le racisme ou les absurdités de l’aide européenne après la guerre des Balkans. « Il ne faut pas laisser le débat aux extrémistes », soutient François Henrard.

Si cette exposition courageuse évite les stéréotypes, elle donne l’impression d’hésiter entre panorama historique, approche culturelle et propos artistique, et n’aborde pas toujours les questions polémiques. Celles-ci seront sans doute débattues dans le cadre d’un programme de conférences qui se tient en parallèle de l’exposition.

L’islam, thématique passionnelle
 
itinérance. L’exposition avait été annulée à Bruxelles en 2016 à la suite des attentats, et il semble que les obstacles se multiplient sur sa route. Outre un problème de communication (affiche incompréhensible), « Islam, c’est aussi notre histoire ! » souffre d’une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux, où elle est soupçonnée d’être soutenue par des lobbies pro-islam ou pro-Turquie. Côté institutions internationales, la situation est contrastée : l’Allemagne et l’Italie accueilleront l’exposition, la Bosnie en présente déjà une version réduite, tandis que la France tergiverse. Le Musée national de l’histoire de l’immigration préfère la version réduite, l’Institut du monde arabe refuse cette exposition alors qu’il a prêté plusieurs objets… Quant à la Turquie, les récentes arrestations dans les milieux universitaires ont touché les partenaires turcs de Tempora, ce qui laisse peu d’espoir.
Olympe Lemut

Islam, c’est aussi notre histoire !,
jusqu’au 21 janvier 2018, Espace Vanderborght, Bruxelles, www.expo-islam.be

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : A Bruxelles, l’Islam en partage

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