Montpellier

Bazille de l’ombre à la lumière

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2016 - 807 mots

Le Musée Fabre présente la presque totalité de la cinquantaine de toiles de ce peintre méconnu qui a participé à la naissance de l’impressionnisme.

Sans attendre le rendez-vous de l’hiver prochain au Musée d’Orsay, c’est à Montpellier qu’il faut aller cet été pour comprendre l’œuvre de Bazille (1841-1870). L’exposition « Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme » n’est pas seulement un hommage rendu par la ville à son plus grand peintre. Outre qu’elle restitue parfaitement sa courte carrière et son environnement artistique, elle permet, grâce au lieu même où elle se tient, de saisir à quelles influences il a obéi et auxquelles il a voulu résister.

Fils d’une famille bourgeoise, Frédéric Bazille a grandi dans un hôtel particulier de Montpellier situé près de celui d’Alfred Bruyas. Ce banquier était collectionneur d’art, amateur de Cabanel et Glaize, nés tous deux dans sa ville, ainsi que de Delacroix, Corot, Rousseau, Millet et Courbet. Il montrait volontiers ses tableaux et c’est ainsi que Bazille a pu voir La Rencontre ou Bonjour Monsieur Courbet (1854) où le peintre d’Ornans s’est figuré croisant le collectionneur lors d’une promenade dans la campagne. Entre le Musée Fabre et la collection de Bruyas, Bazille avait pu se faire l’œil et des goûts personnels avant son départ, à l’âge de 21 ans, pour Paris, en 1862. « Pour Dieu, n’achète pas de Cabanel, cet homme n’est pas né peintre », écrivait-il à son frère, Louis, en 1869, dans une lettre reproduite dans le passionnant catalogue de l’exposition. Pourtant, son premier grand tableau, réalisé en 1864 alors qu’il étudiait dans l’atelier de Gleyre, fut un Nu couché qui peut faire penser à la Naissance de Vénus de Cabanel, présentée au public en 1863 et immédiatement achetée par Napoléon III. Mais une mule, posée à côté d’un pied du modèle, est un hommage secret et fervent du peintre à l’Olympia de Manet. Au Musée Fabre, le visiteur peut retrouver la collection Bruyas et juger des leçons que Bazille a pu en tirer.

De Montpellier, le jeune Frédéric a aussi gardé la lumière. Il passait chaque été à Méric. Dans cette propriété proche de la grande ville se retrouvait sa tribu, qu’il représentera dans La Réunion de famille, admise au Salon de 1868. La Robe rose date de la fin de l’été 1864. La cousine Thérèse pose de trois-quarts dos, vêtue d’une robe à fines rayures rose et blanc. Elle est au premier plan, à l’ombre sur la terrasse de Méric, et regarde le village de Castelnau baigné de la lumière du soir, en contrebas. À ce moment de temps suspendu fait écho la Vue de village de 1868. Cette fois, une toute jeune fille, en rose aussi, fixe le spectateur d’un regard timide. L’équilibre est parfait entre le paysage – Castelnau chatoyant sous le soleil – et la figure à l’ombre. Cette toile, qui a été admise au Salon de 1869, est exposée dans une salle consacrée au plein air dotée d’un éclairage zénithal. Dans la salle du « Nu moderne » figure l’autre tableau présenté au Salon cette année-là par Bazille, mais refusé : Le Pêcheur à l’épervier. Une toile inspirée du pays natal, elle aussi, tout comme la Scène d’été de 1869, des baigneurs qui figurèrent au Salon de 1870.

Les amis peintres

Si le début et la fin de la carrière de Bazille font l’objet de sections distinctes, les salles intermédiaires présentent son œuvre en douze thèmes. Un fil rouge court de l’une à l’autre, formé par les œuvres des amis et relations du peintre. Assez mondain, fidèle camarade des futurs impressionnistes, il a partagé son atelier avec Monet et Renoir et lié amitié avec Manet. Il les a représentés dans L’Atelier de la rue de la Condamine et, s’il apparaît lui-même dans ce tableau, c’est parce que Manet y a mis la main pour le peindre. Son premier envoi au Salon de 1866 (refusé), Jeune fille au piano, retrouvé sous une autre toile à l’occasion de radiographies effectuées pour cette exposition, a sans doute influencé Degas. Il a reçu les encouragements de Courbet et de Puvis de Chavannes. Malheureusement la guerre a fauché Bazille en 1870, à une semaine de ses 29 ans. Comme Manet, il ne reniait pas la peinture religieuse ou d’histoire. La Toilette semble se nourrir du Christ aux anges de Manet et Scène d’été emprunte deux de ses personnages à Bassano et à La Hyre. Deux de ses dernières œuvres, un grand Paysage au bord du Lez et Ruth et Booz (pour lequel il a utilisé la toile de Jeune fille au piano), semblent l’entraîner vers l’impressionnisme pour l’un, le symbolisme pour l’autre. Mais peut-être, fidèle à son envoûtante singularité, aurait-il trouvé une voie encore différente.

Bazille

Commissaires : Michel Hilaire, conservateur général du patrimoine, directeur du musée Fabre ; Paul Perrin, conservateur des peintures, Musée d’Orsay ; Kimberly A. Jones, conservatrice associée au département des peintures françaises, National Gallery of Art, Washington.

Frédéric Bazille, La jeunesse de l’impressionnisme,

jusqu’au 16 octobre, Musée Fabre, 39, bd Bonne-Nouvelle, 34000 Montpellier, du mardi au dimanche 10h-18h, entrée 10 €. Catalogue, 45 €.

Légende Photo :
Frédéric Bazille, L'Atelier de Bazille, 9 rue de la Condamine à Paris, 1869-1870, huile sur toile, 98 x 128,5 cm, Musée d’Orsay, Paris. © Photo : RMN (musée d'Orsay)/Hervé Lewandowski/Service presse.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Bazille de l’ombre à la lumière

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