Photographie

Portrait

August Sander, l’homme derrière l’humaniste

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2016 - 697 mots

La galerie du Point du Jour présente deux albums inédits du photographe qui racontent l’homme autant qu’une époque.

CHERBOURG-OCTAVILLE - Avec son projet « Hommes du XXe siècle », August Sander (1876-1964) a fourni un témoignage unique sur l’Allemagne de son époque. Cette réalisation colossale de plus de 600 portraits de figures types de tous métiers et classes sociales est devenue un modèle de l’esthétique et de la rigueur documentaire. La Feroz Gallerie présente régulièrement à Paris Photo quelques-uns de ses portraits de manœuvre, boucher, paysan… passés à la postérité. L’enseigne fondée à Bonn par l’arrière petit-fils du photographe est connue pour son fonds de vintages et de tirages modernes. Ce que Gerhard Sander, petit-fils de l’illustre photographe, nous offre à découvrir cette fois à Cherbourg à l’occasion du Festival Normandie impressionniste dans la thématique portrait, relève davantage de l’intime et de l’inédit. Le déploiement dans la première salle de l’album de famille réalisé dans les années 1950 par August Sander pour sa fille Sigrid, installée aux États-Unis, déplace de fait le regard que l’on pouvait avoir sur l’œuvre et son auteur dans la sphère familiale et sur les codes du portrait en vigueur, à l’aube du XXe siècle.

Archives familiales
Acheté par Gerhard Sander, cet album introduit autant à l’itinéraire d’August Sander qu’à l’évolution esthétique de ces photographies réalisées entre 1901 et 1920-1921. Depuis  la vue de la rue du studio de Linz en Autriche, l’histoire familiale se raconte chronologiquement en portraits et se clôt par celui du fils aîné, Erick Sander étudiant et militant communiste emprisonné en 1934 et mort en détention dix ans plus tard. Le regard rétrospectif d’August Sander se veut concis, évocateur des temps forts de cette période écoulée, synonyme de prospérité et de bonheur, résumée en vingt-sept photographies d’Anna Seitenmacher la fiancée, puis l’épouse, mère d’Erick, Gunther et Sigrid que l’on voit grandir dans un environnement bourgeois et cultivé. Nulle mention de l’enfance démunie et du travail à la mine aux côtés de son père. Au contraire, à différentes reprises August Sander apparaît aux mieux de sa fortune financière ou affective. En habit de chasse ou joueur de luth aux côtés de son épouse plongée dans sa lecture lors d’une veillée romantique à souhait, l’homme apparaît dans ses plus beaux atours. Nimbée de pictorialisme dans l’air du temps, la vision tend toutefois progressivement vers un art documentaire développant par une économie de moyens une esthétique efficace dans sa sobriété qui a fait sa signature. Les portraits du fils aîné des années 1920 ne se différencient plus de ceux d’anonymes réalisés en studio pour Visage d’une époque, série du livre présentée ici dans la totalité de ses soixante portraits publiés en 1929, et extraits du projet « Homme du XXe siècle » entamé au début des années 1920. La présentation pour la première de cet album en fait la démonstration éclatante et émouvante.

Préoccupations progressistes
Dans la deuxième salle, la recontextualisation de ces photographies, si elle découvre dans une vitrine d’autres photographies familiales intéressantes, se concentre sur le milieu artistique dans lequel August Sander a évolué en convoquant les portraits et les œuvres des peintres progressistes de Cologne au premier rang desquels Franz W. Seiwert (1894-1933) et Heinrich Hoerle (1895-1936), de vingt années ses cadets. Collectées par Gerhard Sander, ses œuvres, couplées à d’autres documents d’époque, engagent ici à faire les liens entre l’œuvre du photographe et le programme de ce groupe marqué par sa volonté d’incarner la structure sociale de leur époque dans la clarté la plus absolue.
Quant au portfolio de paysages mis en regard et constitué lui aussi dans les années 1950 par August Sander à partir d’images réalisées dans les années 1930 dans la région des Sept Montagnes, proche de Cologne, il condense tout autant la vision qu’il eut de son époque et qu’il développa au cours de cette période trouble : l’incarnation métaphorique d’un monde en mutation, où derrière le grand respect pour l’humain et la nature filtre le positionnement d’un observateur en prise avec les divisions profondes, assassines de la société allemande et l’avènement du national-socialisme.

August Sander

Nombre œuvres : 185, dont 150 photographies et 35 œuvres, documents ou publications
Commissaire associé : Gerhard Sander

August Sander. Albums

jusqu’au 28 août 2016, Le Point du Jour. Centre d’art Éditeur, 109 avenue de Paris, Cherbourg-Octeville, tél. 02 33 22 99 23, www.lepointdujour.eu, mercredi-vendredi 14h-18h, samedi-dimanche 14h-19h, 14h-19h, accès gratuit.

Légende Photo :
August Sander, August Sander dans le Siebengebirge, vers 1941. © Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur/August Sander Archiv, Cologne.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : August Sander, l’homme derrière l’humaniste

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque