Art moderne

Paris-7e

Au XIXe siècle, quand le monde fut renversé…

Musée d’Orsay

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 2 mars 2021 - 538 mots

PARIS

« Les origines du monde, L’invention de la nature au XIXe siècle » met en parallèle l’art et la science. Ou comment les progrès scientifiques et la théorie de l’évolutionnisme ont affecté l’imaginaire et les artistes au XIXe siècle.

En 2003, le Musée d’Orsay s’intéressait « Aux origines de l’abstraction » dans une exposition couvrant une période exceptionnellement longue : 1800-1914, de Goethe à Kupka. Le temps long devait permettre d’isoler des tendances et de remonter aux racines profondes de l’abstraction, à l’instar des avancées scientifiques qui permirent au XIXe siècle la naissance de cette nouvelle esthétique. Près de vingt ans plus tard, l’institution se penche cette fois sur « Les origines du monde » : même promesse du titre, même période ambitieuse – l’exposition s’ouvre avec Parkie, l’éléphante arrivée au Jardin des plantes en 1798 et naturalisée par la suite, et se ferme avec le triptyque Évolution de Mondrian –, mais un sujet différent : « L’invention de la nature au XIXe siècle ». Rassurons ici les lecteurs qui pourraient penser à une exposition d’histoire naturelle et passer leur chemin. « Les origines du monde » est bien une exposition de beaux-arts, mais qui étudie les liens qui régirent l’art et la science au XIXe, en regardant comment les découvertes sur la nature et sur l’homme trouvèrent toujours leur traduction dans la peinture, la sculpture et la littérature. Et pour cause, c’est au XIXe siècle que l’homme voit ses connaissances et ses croyances entièrement révisées, sinon renversées, par les théories de Darwin et de Haeckel ou la naissance de la préhistoire, entre autres découvertes. Quand Dieu gouvernait la création durant plusieurs siècles, la publication de L’Origine des espèces en novembre 1859 offre une explication naturelle à l’origine des animaux et de l’homme. Tout s’effondre : la généalogie remplace le divin ; l’homme ne descend plus de Dieu mais du singe ; le monde n’a plus été créé en six jours mais en plusieurs millions d’années… Forcément, cela change tout pour les artistes, à commencer par leur regard. Peinte par Liljefors en 1886, la Famille de Renard chasse pour se perpétuer. Il y a de l’amour chez la renarde pour ses petits, dont on pourrait presque faire la psychologie, comme l’on pourrait faire celle des petits singes de Gabriel von Max, auxquels le peintre, nourri des théories sur l’évolution d’Ernst Haeckel, donne les noms d’Abélard et Héloïse (après 1900). Les yeux des artistes sont désormais aptes à regarder la nature et son histoire. Disons-le, le propos est ardu : pas question de papillonner au sein de l’accrochage. Mais il est captivant quand il relie, par exemple, la question de la beauté à son rôle joué dans la sexualité des espèces et, par conséquent, dans leur survivance (Darwin, La Descendance de l’homme). Sans oublier les surprises que réserve le parcours, comme un tableau des fonds marins d’Eugen von Ransonnet-Villez peints sur le motif grâce à un ingénieux système de cloche transparente. Mais l’intérêt n’est pas qu’intellectuel, « Les Origines du monde » parviennent à rendre leur statut artistique à des œuvres que l’on juge d’habitude plus digne d’un muséum que du musée, tels La Fuite devant le mammouth de Paul Jamin (1885) ou cet étonnant Anthropoïdes (1902), ridicule combat d’hommes singes. Son peintre ? Frantisek Kupka, l’un des inventeurs de l’abstraction…

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°742 du 1 mars 2021, avec le titre suivant : Au XIXe siècle, quand le monde fut renversé…

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